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DE LA POLITESSE

Que cet art de vivre soit un art au sens plein du mot, c’est ce qui est maintenant assez visible. L’homme n’est objet de repos, si l’on peut dire, que s’il est poli ; mais aussi c’est par là qu’il arrive à toute la beauté qui lui est possible ; et, au contraire, la grimace, les sourires niais, les tics, les plis qui n’expriment rien de durable, enlaidissent les visages qui seraient, au repos, les plus agréables. Nous viendrons à traiter de la beauté du corps humain ; il faut dire déjà qu’il y a des genres de visage et des genres de structure pour chacun desquels il existe un équilibre qui est sa beauté propre. Assurément les signes de l’âge ne déplaisent point autant que les plis marqués par les passions. Mais il faut dire aussi que ces traces résultent des émotions non exprimées, car les passions à vrai dire ne naissent que d’une interprétation des signes de soi que l’on croit donner ; la haine, par exemple, n’est qu’une indulgence à la colère. Quelques explications sont ici nécessaires.

Il n’est pas vrai que notre premier mouvement, action, signe ou tumulte intérieur, nous renseigne bien sur nos véritables opinions. L’humeur ne mesure pas l’injure. Cette proposition si simple est pourtant toujours oubliée, et voici pourquoi. Nos premiers signes entrent dans l’événement et le font aller de façon à nous donner raison, si l’on peut dire, à la fin ; car, si je riposte seulement par geste à une remarque un peu blessante, je fais naître la guerre, et tout ce que je supposais devient vrai : mais si je m’abstiens de tout signe, ce qui est politesse, mon opinion sera tout à fait autre. La pensée consiste toujours en un jugement différé, en un doute sur les apparences ; c’est par là qu’un visage tranquille se montre plus vrai ; et c’est cette défense de soi qui conserve la vraie jeunesse. Ainsi il n’y a point de mensonge dans la politesse ; car ce que je montre par impolitesse ce n’est point moi, c’est un animal inquiet, tremblant, brutal. On dit énergiquement : « Quelle mouche vous pique ?  » et cela exprime bien l’empire que les menues choses ont trop souvent sur notre