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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

est donc dans une forme qui par elle-même n’exprime rien.

Il y a un préjugé assez fort contre cette idée-là. Mais pourtant examinez. Le visage humain est un miroir des choses bien émouvant à considérer, et qui nous tire de la contemplation dès qu’il annonce quelque objet nouveau. C’est pourquoi la vue d’un visage toujours expressif jette dans une recherche sans fin. Donc, soit que le visage ait naturellement un pli, soit qu’il le prenne volontairement, il nous émeut d’une autre manière, bien loin de nous donner cette sécurité et délivrance qui sont l’effet des belles formes. Cette remarque conduit assez loin. Car la sagesse consiste principalement à ne point trop croire à ses propres mouvements ; et comme on ne doit point laisser les événements façonner son caractère, aussi ne faut-il point que le milieu extérieur sculpte à jamais notre face ; et les beaux visages sont comme des preuves de cette puissance d’oublier et de s’oublier. Je doute qu’on puisse citer un beau visage où l’on ne lise cette absence de préjugé, ce pardon à toutes choses et à soi, cette jeunesse enfin toujours jeune, qui vient de ce qu’on ne joue aucun personnage. Et l’homme n’est point fait pour vivre d’après le dehors. L’expérience marque aussi ses rides, et cela fait pitié ; au lieu que la beauté a toujours quelque chose de naïf, signe certain de la puissance intérieure. Est-il rien de plus sot qu’un homme qui marque de l’orgueil toujours ? L’homme véritable en montrera, ou bien de la colère, ou bien du mépris, si l’occasion le veut ; aussi bien l’un que l’autre, sans aucun commencement ni préjugé de l’un ni de l’autre. Même dans le visage féminin, cette attente reposée a de la majesté et de la force. Au contraire, quelque considération que l’on ait pour un caractère, nous n’y trouverons jamais un homme, mais une situation toujours. Hélas, la beauté alors est loin ; le pli des affaires, grandes ou petites, la déshonore. Observez que, d’un beau visage, vous ne pouvez jamais dire quel métier il fait. Et dans les tempêtes des choses comme dans les tempêtes hu-