Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/150

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nomme pas, il est vrai, ni le pays non plus ; mais il dit de ce pays que c’était un bourg ancien et noble auquel, pour être ville, il n’en manquait que le nom ; il dit ailleurs que le Lambro y passe ; ailleurs qu’il y a un archiprêtre. Du rapprochement de ces diverses données, nous déduisons que c’était Monza infailliblement. Dans le vaste trésor des inventions savantes, il pourra s’en trouver de plus fines, mais je ne crois pas de plus justes. Nous pourrions aussi, sur des conjectures très-fondées, dire le nom de la famille ; mais, quoiqu’elle soit éteinte depuis longtemps, nous jugeons plus à propos de le garder au bout de la plume, pour ne pas risquer de faire tort même à ceux qui ne sont plus, et pour laisser aux savants quelque sujet de recherches.

Nos voyageurs arrivèrent donc à Monza peu après le lever du soleil. Le conducteur entra dans une hôtellerie, et là, comme étant au fait des lieux et l’une des connaissances de l’hôte, il leur fit donner une chambre et les y accompagna. Renzo, au milieu de ses remercîments et de ceux des deux femmes, voulut, ainsi que tantôt près du batelier, essayer près de ce brave homme de lui faire recevoir quelque argent ; mais celui-ci, de même que l’autre, avait en vue une autre récompense, plus éloignée, mais plus grande. Lui aussi retira sa main et courut, comme en fuyant, soigner sa bête.

Après une soirée telle que nous l’avons décrite, et une nuit que chacun peut se figurer, une nuit passée en compagnie des idées que l’on sait, avec la crainte continuelle de quelque fâcheuse rencontre, au souffle du petit air plus que piquant d’un automne avancé, et au milieu des cahots qui, dans une voiture peu commode, réveillaient sans cesse et sans ménagement quiconque d’entre eux eût à peine commencé à fermer l’œil, il ne fut pas sans quelque prix pour tous les trois de s’asseoir sur un banc qui ne remuait pas, et dans les quatre murs d’une chambre quelle qu’elle pût être. Ils déjeunèrent selon que le permettaient la pénurie des temps, l’exiguïté de leurs moyens en proportion des besoins possibles d’un avenir couvert d’un voile, et leur peu d’appétit. Tous les trois ils songèrent au banquet que, deux jours avant, ils s’attendaient à faire, et chacun d’eux poussa un gros soupir. Renzo aurait voulu s’arrêter là au moins toute cette journée, voir les femmes installées et leur rendre les premiers services que la circonstance pourrait demander ; mais le père avait recommandé à celles-ci de lui faire sans retard continuer sa route. Elles alléguèrent donc et ces ordres et cent autres raisons ; que le monde jaserait, que plus la séparation serait retardée, plus elle serait douloureuse, qu’il pourrait venir bientôt donner de ses nouvelles et apprendre des leurs ; si bien que le jeune homme se décida à partir. Ils concertèrent de leur mieux les moyens de se revoir le plus tôt que ce serait possible. Lucia ne cacha point ses larmes ; Renzo retint avec peine les siennes, et, serrant bien fort la main d’Agnese, il dit d’une voix étouffée : « Au revoir, » et partit.

Les femmes se seraient trouvées bien embarrassées sans ce bon voiturier qui avait ordre de les conduire au couvent des capucins, et de leur prêter toute autre assistance dont elles pourraient avoir besoin. Elles s’acheminèrent donc avec lui vers ce couvent, lequel est, comme on sait, fort peu distant de Monza.