Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/199

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sur leurs vêtements ou les haillons qui leur en tenaient lieu, blancs de farine sur leurs visages, dont les traits bouleversés marquaient une vive agitation : et ils marchaient, non-seulement courbés sous leur fardeau, mais d’un air de souffrance, comme s’ils avaient été foulés dans tous leurs membres. L’homme portait avec peine sur ses épaules un grand sac de farine qui, troué en divers endroits, en laissait échapper un peu à chaque obstacle que rencontrait le pied du porteur, à chaque mouvement qu’il faisait hors d’équilibre. Mais la figure de la femme était la plus mal façonnée ; un ventre démesuré que semblaient soutenir avec effort deux bras pliés, ce qui présentait l’aspect d’une énorme cruche à deux anses ; et sous ce ventre deux jambes nues jusqu’au-dessus du genou, qui s’avançaient en chancelant. Renzo regarda mieux encore et vit que ce gros corps était le jupon de la femme qu’elle tenait par le bord, avec autant de farine dedans qu’il y en avait pu entrer et même un peu plus, de sorte qu’à chaque pas qu’elle faisait de petits nuages de farine s’enfuyaient dans l’air. L’enfant tenait de ses deux mains sur sa tête une corbeille comble de pains ; mais, comme il avait les jambes plus courtes que ses parents, il s’arriérait peu à peu, et lorsqu’ensuite il pressait sa marche pour les rejoindre, la corbeille perdait l’équilibre, et quelques pains tombaient.

« Jettes-en encore un à terre, mauvais maladroit ! dit la mère en grinçant des dents vers le petit garçon.

— Ce n’est pas moi qui les jette ; ce sont eux qui tombent : comment faut-il que je fasse ? répondit celui-ci.

— Eh ! que tu es heureux que j’aie les mains embarrassées ! » reprit la femme, en remuant les poings comme si elle secouait le pauvre enfant ; et dans ce mouvement elle fit voler bien plus de farine qu’il n’en eût fallu pour faire les deux pains que l’enfant avait laissé choir. « Allons, allons, dit l’homme,