Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/250

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il me tombe dans les mains un homme qui, cela se voit tout d’abord, ne demanderait pas mieux que d’en dégoiser ; et, pour peu que l’on eût de temps à soi, rien de si aisé, sans que la corde s’en mêlât, que de lui faire dire, comme ça, extra formam, académiquement, dans le cours d’une conversation amicale, tout ce qu’on voudrait savoir ; un homme à mener en prison tout examiné, sans qu’il s’en fût aperçu : et il faut qu’un homme de cette espèce m’arrive tout juste dans un moment où l’on est si inquiet et si pressé. Eh ! nous ne l’échappons pas, poursuivit-il en lui-même, prêtant l’oreille et penchant la tête en arrière, il faut en passer par là, et nous risquons d’avoir une journée pire que celle d’hier. » Ce qui lui donna lieu de penser ainsi, fut un bruit extraordinaire qui se fit entendre dans la rue, et il ne put s’empêcher d’ouvrir la croisée pour jeter là-bas un coup d’œil. Il vit que c’était un groupe d’habitants qui, ayant reçu d’une patrouille l’ordre de se disperser, avaient d’abord répondu par de mauvais propos, et se séparaient pourtant enfin, mais en continuant de murmurer ; et, ce qui parut au notaire un signe mortel, c’est que les soldats étaient pleins de politesse. Il referma la croisée, et fut un moment à se demander s’il mènerait l’entreprise à bout, ou s’il ne devrait pas laisser Renzo sous la garde des deux sbires, et courir lui-même chez le capitaine de justice pour rendre compte de ce qui se passait. « Mais, pensa-t-il aussitôt, on me dira que je suis un homme de peu de cœur, un poltron, et que je devais exécuter mes ordres. Nous sommes en danse ; il faut danser. Maudite soit l’émeute, et maudit le métier ! »

Renzo était enfin debout, ses deux satellites à ses côtés. Le notaire fit signe à ceux-ci de ne pas trop le violenter, et lui dit à lui-même : « Allons, mon enfant, dépêchez-vous. »

Renzo, de son côté, entendait, voyait et pensait. Il était entièrement habillé, à l’exception de sa casaque, qu’il tenait d’une main, fouillant de l’autre dans les poches. « Ohé ! dit-il, en regardant le notaire d’un air très-significatif : il y avait ici de l’argent et une lettre. Mon cher monsieur !

— On vous remettra le tout exactement, dit le notaire, aussitôt ces petites formalités remplies. Allons, marchons.

— Non, non, non, dit Renzo en secouant la tête ; ça ne fait pas mon affaire : je veux ce qui est à moi, mon cher monsieur. Je rendrai compte de mes actions ; mais je veux ce qui est à moi.

— Je veux vous montrer que j’ai confiance en vous : tenez, et faites vite, » dit le notaire en tirant de sa poche et remettant, avec un soupir, à Renzo, les objets séquestrés. Celui-ci, en les faisant rentrer à leur place, murmurait entre ses dents : « À distance, s’il vous plaît. Vous vivez tant avec les voleurs que vous avez un peu appris leur métier. » Les sbires n’y tenaient plus ; mais le notaire les contenait de l’œil, et, en attendant, il disait en lui-même : « Si une fois tu arrives à mettre le pied en dedans de ce guichet, tu me la payeras, et avec usure, je t’en réponds. »

Pendant que Renzo mettait sa casaque et prenait son chapeau, le notaire fit signe à l’un des sbires de passer devant dans l’escalier ; il fit marcher après