Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/263

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— Avez-vous fait bon voyage ?

— Fort bon ; et vous autres, comment vous portez-vous ?

— Bien, bien. Quelles nouvelles nous donnerez-vous de Milan ?

— Ah ! voici nos gens aux nouvelles, dit le marchand en mettant pied à terre et laissant son cheval entre les mains d’un garçon. Au reste, continua-t-il en entrant avec la compagnie, à l’heure qu’il est, vous le savez peut-être mieux que moi.

— En vérité, nous ne savons rien, disent plusieurs d’entre eux, en se mettant la main sur la poitrine.

— Est-il possible ? dit le marchand. En ce cas vous en apprendrez de belles ou de laides. Eh ! l’hôte, mon lit ordinaire est-il libre ? C’est bon ; un verre de vin et mon souper d’habitude ; tout de suite, parce que je veux me coucher de bonne heure, pour partir demain de bon matin et arriver à Bergame à l’heure du dîner. Et vous ne savez rien, vous autres, continua-t-il, en s’asseyant au bout de la table opposé à celui où Renzo se tenait muet et attentif, vous ne savez rien de toutes ces diableries d’hier ?

— D’hier, si fait.

— Vous voyez donc bien, reprit le marchand, que vous les savez, les nouvelles. Il me semblait en effet impossible qu’étant toujours ici à l’affût de ceux qui passent

— Mais aujourd’hui, qu’est-ce que tout cela est devenu ?

— Ah ! aujourd’hui. Vous ne savez rien d’aujourd’hui ?

— Rien du tout ; il n’est passé personne.

— En ce cas, laissez-moi humecter mes lèvres, et puis, je vous conterai les événements d’aujourd’hui. Vous verrez. Il remplit son verre, le prit d’une main ; puis, avec les deux premiers doigts de l’autre, il releva ses moustaches, puis il polit sa barbe, il but et reprit ainsi : Aujourd’hui, mes très-chers, peu s’en est fallu que la journée ne fût aussi rude que celle d’hier, ou même pire. Et je puis à peine m’en croire moi-même, en me voyant ici à discourir avec vous. Car j’avais mis de côté toute idée de voyage, pour rester à garder ma pauvre boutique.

— Que diable y avait-il donc ? dit l’un des auditeurs.

— Le diable en vérité. Vous allez voir. » Et, coupant la tranche de viande qui lui avait été servie et se mettant à manger, il continua son récit. Ces gens debout, de l’un et de l’autre côté de la table, l’écoutaient la bouche ouverte ; Renzo, de sa place, faisant comme si la chose ne le regardait pas, prêtait attention peut-être plus qu’aucun autre, en mâchant bien lentement ses derniers morceaux.

« Ce matin donc, ces coquins qui hier avaient fait cet effroyable tapage, se sont réunis aux endroits convenus (car la chose était concertée, tout cela était préparé) et ils ont recommencé leur train, rôdant de rue en rue et criant pour en attirer d’autres. Vous savez qu’il se fait là, sauf votre respect, comme quand on balaye la maison ; plus la balayure avance, plus le tas grossit. Quand ils ont jugé être en nombre suffisant, ils se sont dirigés vers la maison de M. le vicaire