Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/370

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Et s’il vient faire sa visite dans ma paroisse ! Oh ! alors comme alors, je ne veux pas me troubler l’esprit à l’avance, j’ai déjà bien assez de soucis. Pour le moment, je vais m’enfermer chez moi. Pendant que Monseigneur se trouve dans ces contrées, don Rodrigo n’aura pas le front de faire des folies. Et après… et après ? Ah ! je vois que mes dernières années se passeront mal ! »

Le convoi arriva avant que les cérémonies de l’église fussent finies ; il passa au milieu de la même foule qu’il avait déjà traversée et qui ne fut pas moins émue que la première fois, et puis il se divisa. Les deux cavaliers tournèrent sur une petite place au fond de laquelle était la maison du curé ; la litière continua son chemin vers celle de la brave femme.

Don Abbondio fit ce qu’il avait projeté ; à peine descendu de sa mule, il se morfondit en salutations respectueuses auprès de l’Innomé, et le pria de vouloir bien présenter ses excuses à Monseigneur, attendu qu’il était obligé de retourner immédiatement à sa paroisse pour des affaires urgentes. Il alla chercher ce qu’il appelait son cheval, c’est-à-dire son bâton qu’il avait laissé dans un coin du petit salon, et il se mit en marche. L’Innomé attendit que le cardinal revînt de l’église.

La brave femme, après avoir fait asseoir Lucia à la meilleure place de sa cuisine, se mit aussitôt en besogne pour préparer de quoi lui rendre tout d’abord un peu de force, refusant avec une certaine brusquerie de cordialité les remercîments et les excuses que celle-ci lui répétait de temps en temps.

Mettant bien vite du bois de fagot sous une marmite où nageait un bon chapon, elle pressa le feu ; puis, dès que le bouillon fut chaud, elle en remplit une écuelle qu’elle venait de garnir de tranches de pain, et put enfin la présenter à Lucia. Heureuse de voir la pauvre fille se ranimer à chaque cuillerée qu’elle avalait, elle se félicitait à haute voix de ce que la chose arrivait dans un jour où, selon son expression, le chat n’était pas sur le foyer. « C’est un jour, ajoutait-elle, où chacun s’industrie pour faire son petit régal, excepté ces pauvres malheureux qui ont peine à se procurer du pain de vesce et de la polenta de blé noir ; encore espèrent-ils tous avoir quelque chose d’un prélat si charitable. Pour nous, grâce à Dieu, nous ne sommes pas dans ce cas, avec le métier de mon mari et quelque bien que nous avons au soleil, nous nous tirons d’affaire. Ainsi donc mangez ceci sans regret en attendant ; tout à l’heure le chapon sera cuit à son point et vous pourrez vous restaurer un peu mieux. » Et elle retourna à ses préparatifs du dîner et du couvert à mettre.