Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/39

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avec corrections et additions, afin qu’ils l’imprimassent pour l’extermination des bravi. Mais ceux-ci vécurent encore pour recevoir, le 24 décembre de l’année 1618, des coups semblables, ou même plus forts, de l’Illustrissime et Excellentissime seigneur, le seigneur don Gomez Suarez de Figueroa, duc de Feria, gouverneur, etc. Comme pourtant ils n’en étaient pas encore morts, l’Illustrissime et Excellentissime seigneur, le seigneur Gonzalo Fernandez de Cordova, sous le gouvernement duquel eut lieu la promenade de don Abbondio, s’était vu contraint de recorriger et republier l’ordonnance ordinaire contre les bravi, le 5 octobre 1627, c’est-à-dire un an, un mois et deux jours avant ce mémorable événement.

Et cette publication ne fut pas la dernière, mais nous ne croyons pas devoir faire mention de celles qui suivirent, attendu qu’elles sont en dehors du période de notre histoire. Nous en citerons seulement une du 13 février de l’année 1632, dans laquelle l’Illustrissime et Excellentissime seigneur, le duc de Feria, pour la seconde fois gouverneur, nous avertit que les plus grandes scélératesses viennent de ceux qu’on appelle bravi. Cela suffit pour nous donner la certitude qu’au temps dont nous parlons, les bravi continuaient d’exister.

Que les deux hommes à qui nous avons reconnu ce titre, en donnant leur portrait, fussent là pour attendre quelqu’un, c’était chose évidente ; mais ce qui causa le plus de déplaisir à don Abbondio fut de ne pouvoir se dissimuler, à certains mouvements qu’ils firent, que la personne attendue était lui. En effet, dès qu’il avait paru, ils s’étaient regardés l’un l’autre, levant la tête d’une certaine manière à faire voir qu’ils s’étaient dit tous deux en même temps : Le voici. Celui qui était à califourchon sur le mur s’était dressé, ramenant sa jambe sur le chemin ; l’autre avait quitté le mur où il était adossé, et tous deux s’acheminaient à sa rencontre. Le curé tenant toujours son bréviaire ouvert devant lui comme s’il lisait, jetait ses regards par dessus pour observer les mouvements de ces personnages ; et, les voyant marcher droit à lui, mille pensées toutes à la fois l’assaillirent. Il se demanda précipitamment si entre lui et les bravi il y aurait quelque issue dans le chemin à droite ou à gauche, et se souvint aussitôt qu’il n’y en avait aucune. Il fit un rapide examen dans ses souvenirs pour rechercher s’il aurait péché contre quelque homme puissant, contre quelque homme vindicatif ; mais, au milieu même de son trouble, le témoignage consolant de sa conscience le rassurait jusqu’à un certain point. Et les bravi cependant s’approchaient, les yeux attachés sur lui. Il mit l’index et le doigt du milieu de sa main gauche dans le col de son rabat, comme pour le rajuster ; et, faisant circuler les deux doigts autour de son cou, il tournait en même temps la tête en arrière, tordant la bouche et cherchant à voir du coin de l’œil, aussi loin qu’il pouvait, si quelqu’un n’arrivait pas ; mais il ne vit personne. Il lança un coup d’œil par-dessus le petit mur, dans les champs : personne ; un autre plus timide en avant sur le chemin ; personne que les bravi. Que faire ? Retourner sur ses pas ? Il n’était plus temps. Fuir ? c’était comme dire : poursuivez-moi, ou pis encore. Ne pouvant se soustraire au danger, il y courut, parce que les moments de cette incertitude lui étaient désormais si pénibles qu’il ne son-