Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/522

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cloches ; là la bryone aux baies vermeilles s’était enlacée aux nouveaux ceps d’une vigne qui, ayant cherché en vain un plus ferme soutien, l’avait saisie à son tour ; et toutes deux, mêlant leurs tiges débiles et leurs feuilles à peu près semblables, s’entraînaient mutuellement vers la terre, comme il arrive souvent aux faibles qui se prennent l’un l’autre pour appui. La ronce était partout ; elle allait d’une plante à l’autre, elle s’élevait et redescendait, repliait ses branches ou les étendait, et, les portant jusqu’au travers de l’entrée, semblait y disputer le passage au maître lui-même du lieu.

Mais celui-ci n’avait nulle envie d’aller parcourir une vigne mise dans un semblable état ; et peut-être ne s’arrêta-t-il pas autant à la regarder que nous à tenter d’en faire le croquis. Il poursuivit son chemin ; à peu de distance était la maison ; il traversa le jardin, enfonçant jusqu’à mi-jambe dans les mauvaises herbes qui là, comme dans la vigne, couvraient le terrain tout entier. Il mit le pied sur la porte de l’une des deux petites pièces qui se trouvaient au rez-de-chaussée. Au bruit de ses pas, à son aspect, d’énormes rats troublés dans leur repos s’enfuirent en se croisant en tout sens et se cachèrent sous un tas d’ordures qui couvrait les carreaux ; c’était encore le lit des lansquenets. Il jeta un coup d’œil sur les murailles ; elles étaient écroulées, salies, enfumées. Il leva les yeux vers le plancher ; les toiles d’araignées d’un bout à l’autre le tapissaient. C’était tout ce que la pièce contenait. De nouveau il se hâta de s’éloigner, en portant les mains à ses cheveux, et repassa par le sentier qu’il venait de se frayer dans le jardin. À quelques pas de là il prit un petit chemin à gauche qui conduisait dans les champs ; et, sans voir ni entendre âme qui vive, il arriva près de la petite maison où il avait projeté de s’arrêter. Déjà il commençait à faire obscur. Son ami était assis hors la porte, sur un banc de bois, les bras croisés, les yeux fixés vers le ciel, comme un homme étourdi par le malheur et rendu sauvage par la solitude. En entendant marcher, il se tourna pour reconnaître qui venait, et d’après ce qu’il crut voir au peu de jour qui éclairait encore, à travers les branches et le feuillage, il dit à haute voix en se dressant et levant les deux mains : « N’y a-t-il donc que moi ? n’en ai-je pas fait assez hier ? Laissez-moi un peu de repos ; ce sera aussi une œuvre de miséricorde. »

Renzo, ne sachant ce que cela voulait dire, lui répondit en l’appelant par son nom.

« Renzo ?… dit l’autre dans une exclamation qui était tout à la fois une interrogation.

— Oui vraiment, dit Renzo ; et ils coururent l’un vers l’autre.

— Comment ! c’est bien toi ! dit l’ami, lorsqu’ils se furent joints… Oh ! que j’ai de plaisir à te voir ! Qui aurait pu se l’imaginer ? Je t’avais pris pour Paolino, le fossoyeur, qui vient me tourmenter sans cesse, pour que j’aille enterrer des morts. Sais-tu que je suis resté seul ? seul, seul, comme un ermite !

— Je ne le sais que trop, dit Renzo. » Et en échangeant et confondant ainsi leurs amitiés, leurs questions et leurs réponses, ils entrèrent ensemble dans la maison. Là, sans interrompre leurs propos, l’ami se mit en devoir d’offrir un petit régal à Renzo, du moins autant que cela lui était possible, étant pris ainsi