Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/526

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CHAPITRE XXXIV.


Il fallait pénétrer dans la ville. Renzo avait entendu dire vaguement qu’il existait des ordres très-sévères pour ne laisser entrer personne sans la bolletta de santé ; mais que, dans le fait, l’entrée n’en était nullement malaisée pour qui savait s’y prendre et saisir le moment. C’était en effet ainsi ; et sans parler des causes générales qui faisaient que dans ce temps-là tout ordre quelconque était peu exécuté, sans parler des causes particulières qui rendaient l’exécution rigoureuse de celui-ci si difficile, Milan était désormais dans une situation telle que l’on ne voit guère à quelle fin et contre quoi il eût été à propos d’y exercer des mesures de préservation ; et ceux qui ne craignaient pas d’y venir paraissaient bien plutôt oublier le soin de leur santé qu’y apporter du danger pour celle des autres.

D’après ces notions, le projet de Renzo était de tenter de s’introduire par la première porte près de laquelle il arriverait, et, s’il y rencontrait quelque obstacle, de suivre les murs en dehors jusqu’à ce qu’il en trouvât une autre par où l’accès fût plus facile, car Dieu sait combien de portes il s’imaginait que Milan devait avoir. Étant donc arrivé sous les remparts, il s’arrêta à regarder autour de lui comme un homme qui, ne sachant quelle est sa route, semble s’adresser à tout pour s’en enquérir. Mais à droite et à gauche il ne voyait que deux bouts d’un chemin tortueux, tout près des remparts, et d’aucun côté nul indice d’êtres vivants, si ce n’est que du haut de l’une des plates-formes s’élevait une colonne de fumée noire qui se développait ensuite en larges tourbillons, et finissait par se perdre dans une atmosphère grise et immobile. C’étaient des