Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/102

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pendant, qui présentait à ses sujets quelque apparence de la justice, sans lui en faire craindre la réalité.

Dans les pays, comme certaines parties de l’Allemagne, où les tribunaux ordinaires n’avaient jamais été aussi indépendants du gouvernement que les tribunaux français d’alors, pareille précaution ne fut pas prise et la justice administrative n’exista jamais. Le prince s’y trouvait assez maître des juges pour n’avoir pas besoin de commissaires.

Si l’on veut bien lire les édits et déclarations du roi publiés dans le dernier siècle de la monarchie, aussi bien que les arrêts du conseil rendus dans ce même temps, on en trouvera peu où le gouvernement, après avoir pris une mesure, ait omis de dire que les contestations auxquelles elle peut donner lieu et les procès qui peuvent en naître seront exclusivement portés devant les intendants et devant le conseil. « Ordonne en outre Sa Majesté que toutes les contestations qui pourront survenir sur l’exécution du présent arrêt, circonstances et dépendances, seront portées devant l’intendant, pour être jugées par lui, sauf appel au conseil. Défendons à nos cours et tribunaux d’en prendre connaissance. » C’est la formule ordinaire.

Dans les matières réglées par des lois ou des coutumes anciennes, où cette précaution n’a pas été prise, le conseil intervient sans cesse par voie d’évocation, enlève d’entre les mains des juges ordinaires l’affaire où l’administration est intéressée, et l’attire à lui. Les registres du conseil sont remplis d’arrêts d’évocation de cette