Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/224

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se présenter enfin pour les accabler, il ne leur restera qu’à fuir.

Quoique la destinée de la noblesse et celle de la bourgeoisie aient été fort différentes entre elles, elles se sont ressemblé en un point : le bourgeois a fini par vivre aussi à part du peuple que le gentilhomme lui-même. Loin de se rapprocher des paysans, il avait fui le contact de leurs misères ; au lieu de s’unir étroitement à eux pour lutter en commun contre l’inégalité commune, il n’avait cherché qu’à créer de nouvelles injustices à son usage : on l’avait vu aussi ardent à se procurer des exceptions que le gentilhomme à maintenir ses privilèges. Ces paysans, dont il était sorti, lui étaient devenus non-seulement étrangers, mais, pour ainsi dire, inconnus, et ce n’est qu’après qu’il leur eut mis les armes à la main qu’il s’aperçut qu’il avait excité des passions dont il n’avait pas même d’idée, qu’il était aussi impuissant à contenir qu’à conduire, et dont il allait devenir la victime après en avoir été le promoteur.

On s’étonnera dans tous les âges en voyant les ruines de cette grande maison de France qui avait paru devoir s’étendre sur toute l’Europe ; mais ceux qui liront attentivement son histoire comprendront sans peine sa chute. Presque tous les vices, presque toutes les erreurs, presque tous les préjugés funestes que je viens de peindre ont dû, en effet, soit leur naissance, soit leur durée, soit leur développement, à l’art qu’ont eu la plupart de nos rois pour diviser les hommes, afin de les gouverner plus absolument.