Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/23

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vent être riches, raffinées, ornées, magnifiques même, puissantes par le poids de leur masse homogène ; on peut y rencontrer des qualités privées, de bons pères de famille, d’honnêtes commerçants et des propriétaires très-estimables ; on y verra même de bons chrétiens, car la patrie de ceux-là n’est pas de ce monde et la gloire de leur religion est de les produire au milieu de la plus grande corruption des mœurs et sous les plus mauvais gouvernements : l’Empire romain, dans son extrême décadence, en était plein ; mais ce qui ne se verra jamais, j’ose le dire, dans des sociétés semblables, ce sont de grands citoyens et surtout un grand peuple, et je ne crains pas d’affirmer que le niveau commun des cœurs et des esprits ne cessera jamais de s’y abaisser tant que l’égalité et le despotisme y seront joints.

Voilà ce que je pensais et ce que je disais il y a vingt ans. J’avoue que, depuis, il ne s’est rien passé dans le monde qui m’ait porté à penser et à dire autrement. Ayant montré la bonne opinion que j’avais de la liberté dans un temps où elle était en faveur, on ne trouvera pas mauvais que j’y persiste quand on la délaisse.

Qu’on veuille bien d’ailleurs considérer qu’en ceci même je suis moins différent de la plupart de mes contradicteurs qu’ils ne le supposent peut-être eux-mêmes. Quel est l’homme qui, de nature, aurait l’âme assez basse pour préférer dépendre des caprices d’un de ses semblables à suivre les lois qu’il a contribué à établir