Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/298

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de vivre est parfois dépeinte et toujours critiquée. On y recherche curieusement la valeur de son bien ; on s’y étend sur le nombre et la nature de ses privilèges, et surtout sur le tort qu’ils font à tous les autres habitants du village. On énumère les boisseaux de blé qu’il faut lui donner en redevance ; on suppute ses revenus avec envie, revenus dont personne ne profite, dit-on. Le casuel du curé, son salaire, comme on l’appelle déjà, est excessif ; on remarque avec amertume que tout se paye à l’église, et que le pauvre ne saurait même se faire enterrer gratis. Quant aux impôts, ils sont tous mal assis et oppressifs ; on n’en rencontre pas un seul qui trouve grâce à leurs yeux, et ils parlent de tous dans un langage emporté qui sent la fureur.

« Les impôts indirects sont odieux, disent-ils ; il n’y a point de ménage dans lequel le commis des fermes ne vienne fouiller ; rien n’est sacré pour ses yeux ni pour ses mains. Les droits d’enregistrement sont écrasants. Le receveur des tailles est un tyran dont la cupidité se sert de tous les moyens pour vexer les pauvres gens. Les huissiers ne valent pas mieux que lui ; il n’y a pas d’honnête cultivateur qui soit à l’abri de leur férocité. Les collecteurs sont obligés de ruiner leurs voisins pour ne pas s’exposer eux-mêmes à la voracité de ces despotes. »

La Révolution n’annonce pas seulement son approche dans cette enquête ; elle y est présente, elle y parle déjà sa langue et y montre en plein sa face.

Parmi toutes les différences qui se rencontrent entre la révolution religieuse du seizième siècle et la révolu-