Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/332

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plus inégaux encore que leurs conditions, mais ils brisèrent d’un seul coup ces autres lois, œuvres plus récentes du pouvoir royal, qui avaient ôté à la nation la libre jouissance d’elle-même, et avaient placé à côté de chaque Français le gouvernement, pour être son précepteur, son tuteur, et, au besoin, son oppresseur. Avec le gouvernement absolu, la centralisation tomba.

Mais quand cette génération vigoureuse, qui avait commencé la Révolution, eut été détruite ou énervée, ainsi que cela arrive d’ordinaire à toute génération qui entame de telles entreprises ; lorsque, suivant le cours naturel des événements de cette espèce, l’amour de la liberté se fut découragé et alangui au milieu de l’anarchie et de la dictature populaire, et que la nation éperdue commença à chercher comme à tâtons son maître, le gouvernement absolu trouva pour renaître et se fonder des facilités prodigieuses, que découvrit sans peine le génie de celui qui allait être tout à la fois le continuateur de la Révolution et son destructeur.

L’ancien régime avait contenu, en effet, tout un ensemble d’institutions de date moderne, qui, n’étant point hostiles à l’égalité, pouvaient facilement prendre place dans la société nouvelle, et qui pourtant offraient au despotisme des facilités singulières. On les rechercha au milieu des débris de toutes les autres, et on les retrouva. Ces institutions avaient fait naître jadis des habitudes, des passions, des idées qui tendaient à tenir les hommes divisés et obéissants ; on raviva celles-ci et on s’en aida. On ressaisit la centralisation dans ses ruines