Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je trouvai les rues paisibles et même à moitié désertes, ainsi qu’on les trouve d’ordinaire à Paris le dimanche matin, lorsque les riches dorment encore et que les pauvres se reposent. On rencontrait bien de temps en temps, le long des murs, des vainqueurs de la veille, mais ils étaient plus remplis de vin que de passions politiques, et la plupart cherchaient à regagner leur demeure sans s’occuper des passants. Dans le petit nombre de boutiques qui étaient ouvertes, on apercevait des bourgeois effrayés, mais surtout étonnés, comme des spectateurs qui, parvenus au dénouement, n’ont pas encore bien compris la pièce. Ce qui se voyait le plus, dans ces rues abandonnées du peuple, c’étaient des soldats ; les uns isolés, les autres en petits groupes, tous sans armes, qui traversaient la ville pour regagner leurs foyers. La défaite que ces hommes venaient de subir avait laissé dans leur âme une impression fort vive et très durable de honte et de colère ; on s’en est bien aperçu depuis, mais il n’en paraissait rien alors ; le plaisir de se retrouver libres paraissait absorber tous les autres sentiments chez ces jeunes gens ; ils marchaient d’un air insouciant, d’un pas dégagé et léger.

Le petit séminaire n’avait été ni attaqué ni même insulté. Mes neveux, d’ailleurs, n’y étaient plus ; dès la veille au soir, on les avait renvoyés chez leur grand’-