Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/122

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Dans ce grand choc, les deux parties qui composaient principalement en France le corps social, avaient en quelque sorte achevé de se disjoindre, et le peuple, resté à part, demeurait seul en possession du pouvoir. Rien n’était plus nouveau dans nos annales ; des révolutions analogues avaient eu lieu, il est vrai, dans d’autres pays et en d’autre temps, car l’histoire même de nos jours, quelque nouvelle et imprévue qu’elle paraisse, appartient toujours par le fond à la vieille histoire de l’humanité, et ce que nous appelons des faits nouveaux ne sont le plus souvent que des faits oubliés. Florence, notamment, vers la fin du moyen âge avait présenté en petit un spectacle semblable au nôtre ; à la classe noble avait d’abord succédé la classe bourgeoise, puis, un jour, celle-ci avait été chassée à son tour du gouvernement, et l’on avait vu un gonfalonier marcher pieds nus à la tête du peuple et conduire ainsi la république. Mais, à Florence, cette révolution populaire avait été produite par des causes passagères et particulières, tandis qu’ici elle était amenée par des causes fort permanentes et si générales qu’après avoir agité la France, il était à croire qu’elle remuerait tout le reste de l’Europe. Cette fois, il ne s’agissait pas seulement de faire triompher un parti ; on aspirait à fonder une science sociale, une philosophie, je pourrais presque dire une religion