Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

riches ; je connaissais trop les hommes du peuple de Paris pour ne pas savoir que leurs premiers mouvements, en temps de révolution, sont ordinairement généreux, qu’ils passent volontiers les jours qui suivent immédiatement le triomphe, à se vanter de leur victoire, à faire acte de leur autorité et à jouer aux grands hommes ; pendant ce temps-là, il arrive d’ordinaire qu’un pouvoir quelconque s’institue, la police revient à son poste et le juge à son siège ; et quand nos grands hommes veulent enfin descendre sur le terrain plus connu et plus vulgaire des petites et mauvaises passions humaines ils ne sont plus libres de le faire et ils doivent se réduire à vivre simplement en gens honnêtes. Nous avons passé, d’ailleurs, tant d’années en insurrections, qu’il s’est formé parmi nous une espèce de moralité particulière au désordre, et un code spécial pour les jours d’émeute. D’après ces lois exceptionnelles le meurtre est toléré, la dévastation est permise, mais le vol est sévèrement défendu, ce qui n’empêche pas, quoi qu’on en dise, qu’on ne vole beaucoup ces jours-là, par la raison qu’une société d’émeutiers ne saurait faire exception à toutes les autres, dans le sein desquelles il se trouve toujours des coquins, qui se moquent, en leur particulier, de la morale du corps, et qui méprisent fort son point d’honneur quand personne ne les voit. Ce qui