Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/138

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soit que l’espérance d’avoir de nouveau quelque chose à diriger, le ragaillardît et lui cachât le danger de l’entreprise ; soit enfin qu’après avoir été plié tant de fois en sens contraire, sous tant de régimes divers, son esprit fût devenu plus ferme en même temps qu’il était devenu plus souple et plus indifférent à l’espèce du maître. De mon côté, j’examinais très attentivement, comme on peut croire, le parti que je devais prendre.

Je voudrais bien rechercher ici les raisons qui me déterminèrent alors, et, les ayant retrouvées, les exposer sans détour ; mais qu’il est difficile de bien parler de soi ! J’ai observé que la plupart de ceux qui ont laissé des Mémoires ne nous ont bien montré leurs mauvaises actions ou leurs penchants que quand, par hasard, ils les ont pris pour des prouesses ou de bons instincts, ce qui est arrivé quelquefois. C’est ainsi que le cardinal de Retz, pour atteindre à ce qu’il considère comme la gloire d’avoir été un bon conspirateur, nous avoue ses projets d’assassiner Richelieu, et nous raconte ses dévotions et ses charités hypocrites de peur de ne point passer pour un habile homme. Ce n’est pas alors l’amour du vrai qui fait parler, ce sont les travers de l’esprit qui trahissent involontairement les vices du cœur.

Mais alors même qu’on veut être sincère, il est bien