Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/153

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Sur ces entrefaites, la réunion préparatoire des électeurs de l’arrondissement de Valognes eut lieu ; j’y parus ainsi que les autres candidats ; le forum était un hangar qui servait de halle ; le bureau de président était établi au fond, et de côté se trouvait une chaire de professeur, qui avait été transformée en tribune. Le président, qui était lui-même un professeur du collège de Valognes, me disait avec une grosse voix et un air magistral, mais d’un ton fort respectueux : « Citoyen de Tocqueville, je vais vous faire connaître les questions qui vous sont adressées et auxquelles vous aurez à répondre » ; à quoi je répliquai d’un ton assez dégagé : « Monsieur le président, je vous écoute. »

Un orateur parlementaire dont je veux taire le nom, me disait un jour : « Voyez-vous, mon cher ami, il n’y a qu’un moyen de bien parler à la tribune, c’est de se bien persuader, en y montant, qu’on a plus d’esprit que tout le monde. » Cela m’avait toujours paru plus facile à dire qu’à faire, en présence de nos grandes assemblées politiques. Mais, je confesse qu’ici le précepte me sembla assez aisé à suivre, et que je le trouvai merveilleusement bon. Je n’allai pas pourtant jusqu’à penser que j’avais plus d’esprit que tout le monde ; mais, je m’aperçus bientôt que j’étais seul à bien connaître les faits qu’on rappelait, et même la