Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/155

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cédée d’une profession de foi républicaine ; la sincérité de l’une avait paru attestée par la sincérité de l’autre ; l’assemblée rit et applaudit. On se moqua de mes adversaires et je sortis triomphant.

J’avais gagné la population agricole du département par ma circulaire, je gagnai les ouvriers de Cherbourg par un discours. On avait réuni ceux-ci au nombre de deux mille dans un dîner patriotique : invité en termes très obligeants et très pressants à m’y rendre, je m’y rendis en effet.

Lorsque j’arrivai, j’aperçus en tête du cortège prêt à se mettre en marche pour gagner le lieu du banquet mon ancien collègue Havin, qui était venu tout exprès de Saint-Lô pour présider à la fête. C’était la première fois que je le rencontrais depuis le 24 février. Ce jour-là je l’avais vu donnant le bras à la duchesse d’Orléans et, le lendemain au matin, j’avais appris qu’il était commissaire de la république dans le département de la Manche. Je n’en avais pas été surpris car je le connaissais pour un de ces ambitieux déroutés, qui s’étaient trouvés arrêtés pendant dix ans dans l’opposition, en croyant d’abord ne faire que de la traverser. Combien n’ai-je pas vu près de moi ces hommes tourmentés de leur vertu et tombant dans le désespoir, parce qu’ils voyaient la plus belle partie de leur vie se passer à critiquer les vices des autres sans