Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/165

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vrir leurs rangs après la victoire, il les resserrèrent jalousement, et semblèrent, en un mot, s’être donné à tâche de résoudre ce problème insoluble, à savoir : de gouverner par la majorité, mais contre le goût de celle-ci.

Suivant les exemples du passé sans les comprendre, ils s’imaginèrent niaisement qu’il suffisait d’appeler la foule à la vie politique pour l’attacher à leur cause, et que pour faire aimer la république, c’était assez de donner des droits sans procurer des profits ; ils oubliaient que leurs devanciers, en même temps qu’ils rendaient tous les paysans électeurs, détruisaient la dîme, proscrivaient la corvée, abolissaient les autres privilèges seigneuriaux et partageaient entre les anciens serfs les biens des anciens nobles, tandis qu’eux ne pouvaient rien faire de pareil. En établissant le vote universel ils croyaient appeler le peuple au secours de la révolution, ils lui donnèrent seulement des armes contre elle. Je suis loin de croire pourtant, qu’il fût impossible de faire naître des passions révolutionnaires même dans les campagnes. En France tous les cultivateurs possèdent quelque portion du sol, et la plupart d’entre eux sont obérés dans leur petite fortune ; il ne fallait donc pas s’attaquer aux propriétaires, mais aux créanciers ; ne pas promettre l’abolition du droit de propriété, mais l’abolition des dettes. Les démagogues