Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps une foule de quolibets et de sentences, et on y prenait alternativement un ton très grivois et des airs très superbes. Évidemment, ces gens-là n’appartenaient pas plus au cabaret qu’au salon ; je crois qu’ils s’étaient poli les mœurs dans les cafés et nourri l’esprit dans la seule littérature des journaux. C’était, en tout cas, la première fois depuis le commencement de la révolution que cette espèce se produisait dans une de nos assemblées ; elle n’y avait jamais été représentée jusque-là que par des individus isolés et inaperçus, plus occupés à se dissimuler qu’à se montrer.

L’Assemblée constituante avait deux autres aspects qui me parurent aussi nouveaux que celui-ci, quoique bien différents de lui. Elle renfermait infiniment plus de grands propriétaires et même de gentilshommes que n’en avait eu aucune des Chambres choisies dans les temps où la condition nécessaire pour être électeur et pour être élu était l’argent. Et l’on y rencontrait un parti religieux plus nombreux et plus puissant que sous la Restauration même ; j’y comptais trois évêques, plusieurs vicaires généraux et un dominicain, tandis que Louis XVIII et Charles X n’avaient jamais pu réussir qu’à faire élire un seul abbé.

L’abolition de tout cens, qui mettait une partie des électeurs dans la dépendance des riches, la vue des périls de la propriété, qui portait le peuple à choisir