Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il faut remarquer encore que cette insurrection formidable ne fut pas l’entreprise d’un certain nombre de conspirateurs, mais le soulèvement de toute une population contre une autre. Les femmes y prirent autant de part que les hommes. Tandis que les premiers combattaient, les autres préparaient et apportaient les munitions ; et, quand on dut enfin se rendre, elles furent les dernières à s’y résoudre.

On peut dire que ces femmes apportaient au combat des passions de ménagères ; elles comptaient sur la victoire pour mettre à l’aise leur mari, et pour élever leurs enfants. Elles aimaient cette guerre comme elles eussent aimé une loterie.

Quant à la science stratégique que fit voir cette multitude, le naturel belliqueux des Français, la longue expérience des insurrections et surtout l’éducation militaire, que reçoivent tour à tour la plupart des hommes du peuple suffisent pour l’expliquer. La moitié des ouvriers de Paris ont servi dans nos armées et ils reprennent toujours volontiers les armes. Les anciens soldats abondent en général dans les émeutes. Le 24 février, Lamoricière, entouré d’ennemis, dut deux fois la vie à des insurgés, qui avaient combattu sous lui en Afrique, et chez lesquels les souvenirs des camps militaires se trouvèrent plus puissants que la fureur des guerres civiles.