Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/320

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posa l’agriculture ; je refusai. En désespoir de cause, Barrot vint enfin m’offrir de prendre le ministère des affaires étrangères. J’avais fait moi-même de très grands efforts pour déterminer M. de Rémusat à accepter cette place, et ce qui se passa à cette occasion entre lui et moi est trop caractéristique pour ne pas mériter d’être rapporté. Je tenais beaucoup à ce que M. de Rémusat fût avec nous dans le ministère. Il était tout à la fois ami de M. Thiers et galant homme, chose assez rare ; lui seul pouvait nous assurer, sinon l’appui, au moins la neutralité de cet homme d’État, sans nous infester de l’esprit de celui-ci. Vaincu par les instances de Barrot et par les nôtres, Rémusat, un soir, avait cédé. Il s’était engagé vis-à-vis de nous, mais, dès le lendemain matin, il vint reprendre sa parole. Je sus avec certitude que, dans l’intervalle, il avait vu M. Thiers, et il m’avoua lui-même que M. Thiers, qui pourtant proclamait alors très haut la nécessité de notre entrée aux affaires, l’avait dissuadé d’entrer avec nous. « J’ai bien vu, dit-il, que de devenir votre collègue ce ne serait pas vous donner son concours, mais seulement m’exposer à être moi-même bientôt en guerre avec lui. » Voilà à quels hommes nous allions avoir affaire !

Je n’avais jamais pensé au ministère des affaires étrangères et mon premier mouvement fut d’en re-