Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/402

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même de nos jours ? La réponse qu’on fera à cette question dépend de la réponse qu’on fera à cette autre : quel est au vrai, de nos jours, le péril que fait courir la Russie à l’indépendance de l’Europe ? Quant à moi, qui pense que notre occident est menacé de tomber tôt ou tard sous le joug ou du moins sous l’influence directe et irrésistible des tsars, je juge que notre premier intérêt est de favoriser l’union de toutes les races germaniques, afin de l’opposer à ceux-ci. L’état du monde est nouveau ; il nous faut changer nos vieilles maximes et ne pas craindre de fortifier nos voisins pour qu’ils soient en état de repousser un jour avec nous l’ennemi commun.

L’empereur de Russie voit bien de son côté quel obstacle lui opposerait une Allemagne unitaire. Lamoricière dans une de ses lettres particulières me mandait qu’un jour l’empereur lui dit avec sa franchise et sa hauteur ordinaire : « Si l’unité de l’Allemagne, que vous ne désirez sans doute pas plus que moi, venait à se faire, il faudrait encore pour la manier un homme capable de ce que Napoléon lui-même n’a pu exécuter, et, si cet homme se rencontrait, si cette masse en armes devenait menaçante, ce serait notre affaire à vous et à moi. »

Mais quand je me posais ces questions, le temps n’était pas venu de les résoudre ni même de les dé-