Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/409

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aller notre tolérance, ou, comme on dit communément, de nous tâter.

Je vis que c’était là une de ces circonstances extrêmes que j’avais envisagées d’avance où il convenait de risquer non seulement mon portefeuille, ce qui, il est vrai, n’était pas risquer grand’chose, mais le sort de la France. Je me rendis au Conseil ; j’exposai l’affaire.

Le président et tous mes collègues furent unanimes pour penser qu’il fallait agir. On expédia aussitôt par le télégraphe des ordres pour concentrer l’armée de Lyon au pied des Alpes, et, rentré chez moi, j’écrivis moi-même (car le style flasque de la diplomatie ne convenait pas à la circonstance) la lettre suivante[1] :

« Si le gouvernement autrichien persistait dans les exigences qu’indique votre dépêche télégraphique d’hier, si, sortant du cercle des discussions diplomatiques, il dénonçait l’armistice et entreprenait, comme il le dit, d’aller dicter la paix à Turin, le Piémont pourrait être assuré que nous ne l’abandonnerions pas. La situation ne serait plus la même que celle dans laquelle il s’était mis avant la bataille de Novare quand il reprenait spontanément les armes et recommençait la guerre malgré nos conseils. Ici, ce serait l’Autriche

  1. Lettre à M. de Boislecomte, du 25 juillet 1849.