Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/88

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depuis mon collègue au ministère, s’écrier au milieu du bruit : « M. Dupin demande la parole. — Non pas ! — Non pas ! répliquait celui-ci, je ne l’ai pas demandée ! — N’importe, répondait-on de toutes parts ; parlez ! parlez ! » Ainsi poussé, M. Dupin monta à la tribune et y proposa en deux mots de revenir sur la loi de 1842 et de proclamer la duchesse d’Orléans régente ; il y eut des applaudissements dans l’Assemblée, des cris dans la tribune et des murmures dans les couloirs ; ceux-ci, d’abord assez libres, commençaient à s’engorger d’une manière inquiétante ; le peuple n’entrait pas encore dans la Chambre par flots, il s’y introduisait peu à peu, homme par homme ; à chaque instant, apparaissait une figure nouvelle ; c’était une inondation par infiltration. La plupart de ces nouveaux venus appartenaient aux dernières classes ; plusieurs étaient armés.

Je voyais de loin cet envahissement croissant et sentais le péril augmenter de minute en minute avec lui ; je cherchais des yeux dans toute la Chambre quel était l’homme qui pouvait le mieux s’opposer au torrent ; je ne vis que Lamartine qui eût la position voulue et la capacité requise pour le tenter ; je me rappelais qu’en 1842 il avait été le seul à proposer la régence de la duchesse d’Orléans. D’une autre part, ses derniers discours et surtout ses derniers écrits