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MÉRITE, RÉSULTATS PRATIQUES DU JUDAÏSME


Babylone. xxiv, 1-5, comme le voyant distingue entre les figues bonnes et mauvaises d’un même panier.

Avec Ézéchlel, le discernement des individus s’affirme en pleine lumière. Quoique Jahvé soit profondément irrité contre tout le peuple, v, 5-17 et vii, 2-4, il remarque dans Jérusalem « ceux qui soupirent et qui gémissent à cause de toutes les abominations qui s’y commettent » : ceux-là reçoivent une marque spéciale sur le front, qui leur vaudra d’être épargnés. ix, 4-6. Ainsi, quand viendra l’heure de la délivrance, il se fera un triage parmi les exilés, xx, 38 : la partie fidèle retrouvera les bienfaits de l’alliance, tandis que, pour les autres, Jahvé fera « retomber leurs œuvres sur leur tête ». xi, 21.

En somme, devant la grande grâce du salut messianique tout comme dans le cours ordinaire de la Providence, la moralité humaine compte aux yeux de Dieu. Qu’il s’agisse du peuple ou des individus, ils doivent s’attendre à la juste punition de leurs fautes et ne peuvent escompter la possession des biens que la bonté divine leur réserve que s’ils ont soin de les conquérir au prix de leurs efforts. Sans doute ne serait-il pas de tout point exact de dire que les rapports de Dieu avec les hommes se règlent suivant une loi de justice ; car la miséricorde y intervient de toutes parts, en ce double sens que le châtiment est au-dessous de la culpabilité et plus encore la récompense au-dessus des bonnes œuvres. Mais il reste que Dieu est essentiellement donné comme un rémunérateur et que son attitude, si l’on peut ainsi dire, est fonction de celle qu’Israël prend à l’endroit de ses volontés. Ce rôle des actions humaines n’est-il pas l’affirmation pratique de leur valeur, c’est-à-dire, en d’autres termes, du mérite qui revient à leur agent ?

Vainement opposerait-on que cette Providence divine se déroule principalement dans l’ordre temporel. Peu importe ici l’objet : ce qu’il faut retenir, c’est la loi posée à ce propos. Si l’application en est encore restreinte, cette limite tient uniquement à l’insuffisance du développement religieux dans l’ancienne Loi ; mais le fondement moral sur lequel elle repose permet de s’attendre à ce qu’elle trouve tout autant sa place dans l’ordre plus élevé des biens spirituels, dès que la phase des ombres disparaîtra devant celle des réalités.

Résultais pratiques du judaïsme.

En attendant,

cette économie imparfaite devait régner pendant de longs siècles sur le peuple de Dieu. Divers indices permettent tout au moins d’entrevoir quelle sorte de fruits elle y produisait.

1. Littérature canonique.

Il n’est pas de documents plus précieux à cet égard que ces livres du canon qui tendaient à organiser la vie religieuse d’Israël ou qui sont l’expression vécue de son développement. L’âme juive y apparaît avec une complexité où se révèle l’action des divers courants qui alimentaient sa foi.

a) Culte juif. — Dans toutes les religions, la liturgie est une des formes et une des sources les plus importantes de la piété. Le cérémonial juif était particulièrement riche à cet égard. Il est, par malheur, difficile de savoir avec exactitude quelle impression pouvait résulter de ces rites sur les âmes, et il est probable a priori que chacune en prenait à la mesure de ses dispositions spirituelles. Aussi importe-t-il de se mettre en garde contre les schématismes contradictoires qui apportent ici des systèmes tout faits. Tout ce qu’on peut entreprendre avec quelque vraisemblance, c’est d’analyser l’esprit général qui anime ce rituel et qu’il tendait sans nul doute à communiquer. H Puisque l’alliance du peuple avec Jahvé avait pris le caractère d’un contrat, il était dans la logique de cette idée qu’une sorte de cahier des charges vînt

déterminer, dans le détail, sous forme de clauses réglementaires, les obligations d’Israël envers son Seigneur. La Loi n’a pas d’autre but. Établie sur la ferme notion du Dieu unique et transcendant, elle entourait cette foi monothéiste d’un réseau d’observances aussi abondantes que rigoureuses. Certains actes étaient commandés : circoncision, offrandes, sacrifices et fêtes annuelles. D’autres étaient interdits, parmi lesquels, à côté de fautes morales, figurait un certain nombre de souillures purement matérielles. Pour les unes et les autres, une procédure d’expiatioi était prévue. Le tout étant ordonné par Jahvé lui-même et donc le moyen assuré de lui plaire. Or la Loi, qui plongeait ses racines dans la plus ancienne tradition religieuse d’Israël, prenait une place croissante dans sa conduite et ses sentiments à mesure qu’il était moins infidèle à Jahvé. Après l’exil surtout, quand elle eut été l’objet d’une promulgation solennelle en vue de renouveler l’antique alliance, II Esd., viii-x, elle devint une règle de plus en plus respectée et obéie.

Il est certain que, par sa nature même, la Loi était un code de pratiques extérieures plutôt qu’une « introduction à la vie dévote ». La tentation pouvait aisément venir aux Israélites de s’arrêter à la lettre de ses prescriptions et de se croire agréables à Dieu par le seul fait de les avoir matériellement observées. Ce formalisme, qui s’épanouit chez les pharisiens de l’Évangile, dut exister de bonne heure. Dans Isaïe, xxix, 13, Jahvé se plaint que le peuple l’honore seulement « de la bouche et des lèvres ». Quand il s’agissait de pénitence, beaucoup se content aiant de déchirer leurs vêtements, alors que c’est le cœur qu’il eût fallu déchirer. Joël, ii, 13. Et si Jahvé peut s’écrier, Is., i, 11 : « Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices ? », c’est évidemment que beaucoup se persuadaient l’avoir par là suffisamment honoré.

Aussi cette dernière période du judaïsme, où s’affermit le règne de la Loi et qui coïncide avec le tarissement de l’inspiration prophétique, est-elle appelée par les historiens « la nuit du légalisme ». Voir Judaïsme, t. viii, col. 1636-1638. Les théologiens protestants y trouvent le type de l’altération la plus grave et la plus grossière du principe religieux, celle qui consiste « à placer la condition de la justification dans l’œuvre extérieure issue de la force naturelle donnée une fois à l’homme par le créateur et réputée comme^telle méritoire devant Dieu ». A. Grétillat, op. cit., t. iv, p. 370.

Cependant on ne perdra pas de vue que le formalisme populaire est condamné par les auteurs mêmes qui en signalent l’existence : ce qui veut dire que la conscience religieuse d’Israël a toujours été prémunie contre son invasion ou invitée à se guérir de ses atteintes. Au surplus, il est injuste de ne voir dans un système que ses défauts. Saint Paul a dénoncé l’impuissance religieuse de la Loi et la confiance en leur propre justice qu’elle développait chez ses fidèles. Cette polémique ne saurait passer pour une vue historique de tout point complète, et l’abus trop réel qu’un certain nombre de Juifs faisaient de la Loi ne doit pas empêcher de reconnaître que d’autres ont pu en faire un bon usage. Pour bien des âmes, la Loi a dû signifier la volonté de Dieu et ses pratiques éveiller des sentiments de véritable religion. Le symbolisme des sacrifices était assez obvie pour donner ou traduire le sens du péché et susciter le repentir qui en obtient l’effacement. Il n’est pas jusqu’à leur répétition même, Hebr., x, 1-2, cf. vii, 27 et ix, 25, qui ne pût faire naître au cœur une impression d’insuffisance et, par conséquent, d’humilité. Si ces hautes leçons ne furent pas entendues par la masse, pourquoi voudrait-on qu’elles soient restées inaccessibles à tous ?