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    1. MÉRITE##


MÉRITE, SYNTHÈSE DE LA DOCTRINE SCR I PTUR AIRE

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m. 5, ii, 21 ; cf. xxi, 17. Dès maintenant, ces morts sont « heureux », parce qu’ « ils se reposent de leurs fatigues », et la raison en est que « leurs œuvres les suivent ». xiv, 13. Aussi l’auteur dit-il des saints de Sardes qu’ils sont « dignes », à^ioi, de la gloire éternelle, m, 4, comme plus loin, xvi, G, des persécuteurs qu’ils sont « dignes » de boire du sang puisqu’ils en ont versé. Manifestement le mérite de l’homme est ici tellement bien affirmé qu’il y manque seulement le mot.

b) Épîtres de saint Jean. — Conformément au ton du quatrième Évangile, c’est, au contraire, le mysticisme qui déborde des épîtres johanniques.

Le but de la vie chrétienne est ici d’entrer en union, y.oivcovîa, avec le Père et son Fils Jésus-Christ. I Joa., i, 3. « Rester avec le Père et le Fils », c’est le suprême bonheur que Dieira promis aux siens, et « cette promesse qu’il nous a faite, c’est la vie éternelle ». Ibid., il, 24-25. Or la foi anticipe déjà cette récompense. « Celui qui a le Fils a la vie ; celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie. Je vous ai écrit cela pour que vous croyiez au nom du Fils de Dieu. » Ibid, v., 12-13 ; cꝟ. 20-21.

Mais, au lieu de s’opposer au souci de la morale, ce mysticisme l’entraîne comme conséquence. Parce que Dieu est lumière, nous devons, nous aussi, fuir les œuvres de ténèbres. I Joa., i, 5-7 ; cf., ii, 11. Dieu se révèle dans le Christ : celui qui prétend le connaître doit observer les commandements de celui-ci, marcher comme il a marché lui-même. En un mot, le moyen de montrer qu’on a la véritable charité de Dieu, c’est de suivre sa parole. Ibid., ii, 4-6. Or à l’amour de Dieu l’amour du prochain est étroitement connexe. Par conséquent, < celui qui n’est pas juste n’est pas de Dieu, et pas davantage celui qui n’aime pas son frère ». Ibid., iii, 10 ; cf., iv, 7-8, 21 ; II Joa., 6.

Fruits et preuves de la vie divine en nous, ces œuvres morales dont la charité est le principe nous assurent la possession de Dieu. Tandis que « le monde passe…, celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement ». Ibid., ii, 17. Et il ne faut pas se méprendre sur la réalité qu’expriment ces paroles abstraites : il s’agit pour nous de pouvoir nous présenter avec confiance « au jour du jugement », <v, 17. Or, en vue de cette fin, notre fidélité pratique à l’amour de Dieu est l’unique moyen. « Restez en lui, mes petits enfants, afin que, lorsqu’il apparaîtra, nous ayons confiance et ne soyons pas confondus par lui au jour de la parousie. » Ibid., ii, 28.

De cette « confiance » saint Jean ne dégage pas ici la conclusion, qui, du reste, s’entend assez d’ellemême. Il le fait en propres termes dans sa seconde épître : « Prenez garde à vous-mêmes, afin de ne point perdre le fruit de votre travail et de recevoir une pleine récompense », ïvoc… p.io6ôv Tcy)p’f] àTcoXdcê^xe, II Joa., 8. D’où l’on peut induire que l’amitié de Dieu dont jouit dès ici-bas l’âme régénérée est déjà une « récompense », mais encore incomplète, et qui doit recevoir sa « plénitude » dans le bonheur de’l’éternité. Ainsi les réalités présentes sont raccordées aux espérances futures, de telle sorte que la mystique de saint Jean, loin d’exclure l’idée de la rétribution éternelle, l’appelle comme terme et, avec elle, cette valeur de nos œuvres qui en est le présupposé.

Il y a donc, au total, identité foncière entre les Apôtres, comme il y a continuité de leur doctrine à l’enseignement de Jésus et, d’une manière plus géné-Irale, entre la nouvelle et l’ancienne Loi, sur les rapports essentiels de Dieu avec l’homme et de l’homme avec Dieu. Les contrastes allégués à plaisir par la dogmatique protestante se laissent résoudre en une parfaite harmonie. Si la paît de la grâce est, à n’en pas douter, mise eu plus grand relief depuis l’Évangile,

il s’en faut qu’elle fût inconnue dans l’Ancien Testament et toutes les substructions morales de celui-ci se retrouvent dans celui-là.

Des protestants eux-mêmes finissent aujourd’hui par se rendre à cette évidence. « Lorsque le christianisme entra dans le monde et y trouva sa première expression, écrit H. Schultz, loc. cit., p. 9-10, dans les cercles dirigeants du judaïsme aussi bien que chez les porte-parole de la civilisation hellénique, on acceptait comme allant de soi l’idée d’une Providence divine qui décide suivant les règles du droit et, par conséquent, du côté de l’homme, celle d’uni bon ou mauvais mérite »… Avec la foi en Dieu comme représentant de l’ordre moral dans le monde, la conclusion paraissait aussi naturellement donnée qu’il récompense ou punit d’après les règles du droit humain. Et cette foi cache en elle le droit inaliénable de la conviction qui nous fait admettre la souveraineté de l’ordre moral dans l’univers. Ainsi ce postulat appartient au patrimoine religieux que la communauté chrétienne a emprunté à la culture religieuse et morale qui régnait jusque-là. Elle n’a pas eu le moindre motif de le transformer de fond en comble… Ce que nous lisons sous ce rapport dans le Nouveau Testament, à titre de simple postulat qui n’a pas besoin d’autres preuves, sur la récompense et le châtiment des œuvres n’est pas autre chose, en substance, que l’expression de la piété commune en Israël. »

Mais, si telle est l’inspiration fondamentale de la révélation judéo-chrétienne, comment échapper aux conséquences qui s’ensuivent sur la valeur objective et le caractère méritoire des actes de l’homme ? II est vrai, comme l’observe le même H. Schultz, loc. cit., p. 16, « que le Nouveau Testament parle bien de récompense, mais non pas de mérite ». L’Ancien Testament n’en parle pas davantage et personne ne disconvient pourtant que cette idée ne ressorte de son enseignement sur les œuvres. De même en est-il pour le Nouveau. Vainement y chercherait-on un exposé abstrait d’anthropologie théorique ; mais, sous la forme concrète qui est dans le style de l’Écriture, des principes y sont inclus que la réflexion ne peut pas ne pas en dégager.

Et rien ne servirait d’arguer que le christianisme de Jésus et des Apôtres exalte la part de la grâce de Dieu à l’origine de nos actes bons, qu’à rencontre de la suffisance pharisaïque il prône le repentir et l’humilité, qu’il oppose aux calculs intéressés d’une religion mercenaire les libres élans et la douce confiance de l’amour filial, si l’on n’ajoutait qu’il incorpore toute la moralité humaine au service de Dieu et, par là-même, consacre cette dignité intrinsèque de nos actes que toutes les langues désignent sous le nom de mérite. Alors, mais alors seulement, on conçoit que Dieu veuille tenir compte de nos œuvres, que nous soyons jugés d’après elles et que la gloire éternelle en soit le fruit.

C’est à la tradition qu’il était réservé d’exprimer en concepts précis la doctrine dogmatique impliquée dans l’enseignement moral des Écritures, en vue d’analyser la nature exacte, les conditions et le rôle du mérite humain. Mais ce travail d’inventaire ne ferait que lui donner la connaissance plus explicite de la vérité simple et féconde dont la révélation biblique contenait déjà tout le dépôt.

II. LA DOCTRINE DU MÉRITE DANS LA

TRADITION PATRISTIQUE. — Il appartenait à l’Église de faire entrer dans la pensée et la vie de ses fidèles les données diverses de l’Écriture sur la valeur des œuvres humaines et la place qu’elles doivent tenir dans la préparation personnelle du salut. Cette incorporation, comme on peut s’y attendre en pareille matière, s’est faite surtout d’une manière pratique,