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MÉRITE, TRADITION ORIENTALE : SAINT JEAN CHRYSOSTOME


<orona. Ibid., iii, 1 et 5, col. 597 et 601. Ailleurs il disserte contre Jovinien afin de prouver que l’inégaité des destinées éternelle ?, soit entre les bons et les méchants, soit surtout entre les justes eux-mêmes, suppose une diversitas merilorum. Adv. Jovin., ii, 25-28, t. xxiii, col. 315-325. D’où il dégage cette conclusion pratique, ibid., 32, col. 329 : Jam nostri laboris est pro diversitate uirtutum di versa no bis præmia prœparare.

Cependant la pensée du jugement divin éveille en son âme de redoutables appréhensions : Si nostra consideremus mérita, desperandum est. In Isaiam, I. XVII (c. lxiv, 8), t. xxiv, col. 625. Elles sont motivées par le déficit radical de nos œuvres : Quia nullum opus dignum Dei justilia reperietur. Ibid., 1. VI c. xiii, 6-7), col. 209.

Entre les Pères latins du ive siècle et ceux du iiie, commune est manifestement la tradition dogmatique sur l’existence du mérite à côté de la grâce qui en est la condition. Le seul trait qui leur appartienne en propre, c’est une plus grande attention accordée aux répercussions psychologiques de la doctrine et le souci qui en dérive de modérer la confiance que peut provoquer le mérite, par le souvenir de tous les éléments subjectifs et objectifs qui sont propres à en réduire la valeur. « Il semble, écrit J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 284, que la rigueur purement juridique de Tertullien soit adoucie, surtout chez ceux de nos auteurs qui ont étudié les Grecs, par ce sentiment fréquemment exprimé que nos mérites, quels qu’ils soient, sont très mêlés de démérites, qu’ils sont en partie le fruit de la grâce et restent en somme fort au-dessous de la récompense qui nous est promise, si bien que, à tout prendre, cette récompense est l’effet moins de nos mérites que de la miséricorde de Dieu. »

Origène avait soulevé le problème théorique du mérite dans ses rapports avec la grâce. Voir col. 628. Sans le suivre sur ce terrain, les Occidentaux s’appliquèrent à en mesurer le retentissement pratique sur la vie religieuse des âmes. De part et d’autre, c'était un progrès dans l’analyse, un premier contact de l’intelligence religieuse avec la diversité des éléments que cette importante notion fait intervenir.

En Orient.

Chez les Pères Orientaux, la terminologie reste comme toujours moins précise et les

développements moins nombreux. A cela près, on relève dans leur pensée au sujet des œuvres les mêmes traits essentiels.

1. Saint Jean Chrysostome.

Bien qu’il attache très peu d’importance à la tradition grecque, H. Schultz, toc. cit., p. 18-20, veut du moins en retenir saint Jean Chrysostome, comme étant « l’interprète classique des conceptions développées dans l'Église orientale ». Or il trouve que, chez lui, « la grâce n’exclut pas la récompense de nos travaux », voire même « la récompense en justice ». En faut-il davantage pour que le patriarche de Constantinople doive être compté comme un nouveau témoin de la foi catholique au mérite des actes humains ?

a) Réalité du mérite. — De fait, « l’enseignement de saint Chrysostome se ressent… naturellement des préoccupations de l’auteur, avant tout prédicateur et moraliste, dont le rôle est de pousser ses auditeurs à l’effort personnel ». J. Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 146. Sans donc oublier la part qui revient à Dieu, il éprouve plutôt le besoin d’insister sur celle qui nous échoit et sur les espérances légitimes qu’elle autorise. « Quand tu entends parler de grâce, ne pense pas que par là soit supprimée la récompense due à la bonne volonté, tÔv àrzb t7, ç rcpoxipéascoç |j.ta06v. L’apôtre parle de grâce, poursuit-il, non pour déprécier cet effort volontaire, mais pour couper court à toute

tentation d’orgueil. » In Rom., hom. ii, 3, P. G., t. lx, col. 404.

Cette « récompense » est assurément tout d’abord celle que la vertu trouve en elle-même dès ici-bas. Deresur., morl., 3, t. l, col. 422 ; Exp. in Ps. cxxvii, 3, t. lv, col. 359-370. Mais c’est aussi et surtout la gloire céleste. Les pécheurs ne peuvent être récompensés qu’ici-bas du bien qu’ils ont pu faire. De Lazaro, hom. iii, 4, t. xlviii, col. 997. Au contraire, les justes ont devant eux l'éternité et doivent y porter fermement leurs espérances au milieu des épreuves ou des injustices de ce monde. Voir, par exemple, Exp. in Ps. iv, 10, t. lv, col. 55 ; In Ps. VII, 8, ibid., col. 93 ; In Matth., hom. xiii, 5, t. lvii, col. 215-216 ; hom. xxxiv, 3, ibid., col. 402. Leur récompense sera d’autant plus élevée que plus grande fut sur la terre leur constance dans le bien. In I Cor., hom. xliii, 3, t. lxi, col. 371-372.

Si aucune espérance n’est plus chère au chrétien, c’est qu’elle engage la foi même en la justice divine. Ici-bas les situations sont encore confuses, parce que provisoires ; elles seront rétablies au jour du jugement : « L’homme s’y tiendra seul avec ses œuvres, afin d’y être condamné pour elles ou couronné pour elles. » Exp. in Ps. xlviii, 6, t. lv, col. 508. Les païens euxmêmes ont cru aux rétributions futures, twv èvrocCôa Yivo^svwv àvTÎSoffiç. A plus forte raison des chrétiens n’en sauraient-ils douter. « S’il y a un Dieu, et il y en a un, tout le monde conviendra qu’il est juste. Et s’il est juste, on accordera qu’il doit rendre aux uns et aux autres selon leur mérite, àTroSwæi va x.%i' à ; tav. Ce qui entraîne comme conséquence l’existence d’une autre vie, où tous recevront « la rémunération qui leur convient », ttjv TCpoarjxouaav àviiSoaiv. De Lazaro, hom. iv, 3-4, t. XLvm, col. 1011. « Alors seulement, lorsque chacun aura reçu selon ses mérites, tx xax' à^tav, éclatera la justice de Dieu. » De diabolo tentatore, hom. ii, 8, t. xlix, col. 258. Dans cette reddition de comptes, « toutes nos actions, grandes ou petites, nous seront comptées ». Ad Theod. lapsum, i, 9, t. XLvn, col. 287. Mais si celles qui sont dues en stricte obéissance, ï ôcpsiXî) ;, y seront récompensées, à plus forte raison les œuvres surérogatoires, qui relèvent seulement des conseils divins. De psen., hom. vi, 3, t. xlix, col. 318. Toutes ensemble nous donnent droit à une véritable rétribution. « Innombrables sont les endroits où Chrysostome, se référant au Nouveau Testament, parle de qua66ç, àu.ot6y) ou àu.ot6aî, <x>m80aiç, àvrarcôS joiç, OTÉcpavoç, (3pa6sîa. » H. Schultz, loc. cit.. p. 19.

Il est vrai que la récompense est bien supérieure à nos travaux. Exp. in Ps. xlix, 5, t. lv, col. 249 ; In Matth., hom. xv, 5, t. lvii, col. 226 ; hom. lxxvi, 4, t. lviii, col. 699 ; In Rom, hom. xiv, 4, t. lx, col. 528529. Mais cette considération, loin de diminuer notre mérite, ne sert qu'à stimuler notre effort. C’est aussi parce qu’il nous promet beaucoup plus que sous l’ancienne Loi que Dieu peut nous demander davantage. De virg., 84, t. xlviii, col. 595-596 ; In Matth., hom. xvi, 5, t. lvii, col. 215.

b) Appréciation subjective du mérite. — Ces principes, qui fondent la réalité dogmatique du mérite, se complètent, chez saint Jean Chrysostome, par quelques indications propres à marquer la place qui lui revien dans la vie spirituelle du croyant.

Avant tout il s’applique à combattre chez ses auditeurs la tentation de l’orgueil. Et d’abord une raison de fait interdit à qui que ce soit de se glorifier, c’est que le jugement de Dieu n’est pas encore intervenu et que celui des hommes ne compte pas. Mais, en admettant que nos mérites soient elîectifs, une raison de droit empêche de s’en prévaloir. Généralement peu explicite sur la grâce, voir Jean Chrysostome, t. viii