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ORESME - i.tRGUKlL


ment ne se soumettrait à la servitude ou ne s’abaisserait au jugement de la puissance tyrannique. De même que la communauté ne peut octroyer au prince qu’il ait puissance et autorité d’abuser des femmes de ses citoyens à sa volonté, pareillement elle ne lui peut donner privilège de l’aire à sa volonté des monnaies. » Aussi bien l’auteur consacre-t-il un chapitre spécial, le c. xv, à démontrer que le prince tyran ne peut longuement durer : « Quiconque voudrait induire les seigneurs (les rois) de France à ce régime tyrannique exposerait le royaume en grand décriement et honte. » Ces graves avertissements de Nicole Oresme furent entendus de Charles V. A l'époque où il était régent, il avait altéré les monnaies ; il les respecta quand il fut roi.

Ce fut aussi à l’intention de Charles V, et sur sa demande expresse, que l’ancien grand-maître de Navarre entreprit la traduction française de plusieurs livres d’Aristote, les Éthiques en 1370, la Politique et les Économiques en 1371 : Launoi n’a pas connu une traduction très libre des livres du Ciel et du Monde. Elle est expressément donnée, par la préface, comme de Nichole Oresme, doyen de l'Église de Rouen, par le ms. 7 065 du fonds français de la Bibliothèque nationale. Sur les mss. de la première série voir L. Delisle, Observations sur plusieurs mss. de la Politique et de l'Économique de Nicole Oreme, dans Bibl. de l'École des chartes, 1869, p. 601-620, et Cabinet des manuscrits, t. i, 1868, p. 41. La traduction des Éthiques a été imprimée à Paris en 1488, celle des Politiques et des Économiques, à Paris, 1489 ; cf. Hain, Reperlor. bibl., n. 1759etl772. Faite sur les traductions latines alors courantes, et d’ailleurs assez médiocres, la version de Nicole Oresme ne peut évidemment prétendre à l’exactitude ; elle reste néanmoins fort intéressante, tant au point de vue des idées que le traducteur développe en marge de son texte, qu’au point de vue de l’histoire de la langue française. i Admirons, dit Petit de Julleville, la facilité de sa langue. Son mérite est d’autant plus grand que, jusqu'à quarante ans, il parle en latin, il pense en latin, son éducation est latine, et le français est à vrai dire la langue de son deuxième âge. Aussi, dans cette seconde manière, conservera-t-il des traces de la première : son style restera latin, le tour sera calqué sur la syntaxe latine… En somme, Oresme se trouva amené à esquisser l'œuvre que Calvin devait achever en 1535, la création d’une langue fort différente du français usuel, d’une langue calquée sur le latin et dont la forme procède de cette idée que le français n’est que du latin modifié. » Rev. des cours et conf., avril-juillet, 1896, p. 208-209. Il n’y a plus lieu d’attribuer à Oresme la traduction française du livre de Pétrarque, De remediis utriusque fortunée. L. Delisle a démontré que cette traduction est l'œuvre de Jean Daudin, chanoine de la SainteChapelle. Voir Notices et extraits des mss. de la Bibliothèque nationale, t. xxxiv a, 1891, p. 273-304.

L'œuvre proprement théologique de Nicole Oresme a été beaucoup moins étudiée. Au catalogue de Launoi il faudrait emprunter les titres suivants : Tractatus de communication idiomatum, inédit, Paris, lat., 2831, 3074, 5755, 14 579 ; Arsenal, 522 et 2128 B ; Traclalus de Dici de omni in Divinis, que nous n’avons pu identifier ; pas plus que la Decisio quæstionis, Utrum oporteat in omni casu judicèm judicare secundum allegata et probala ; pas plus que le Contra mendicationem. Dès l'époque de Launoi il n’y avait plus de trace d’un traité sur l’immaculée conception dirigé contre les critiques de l'école dominicaine. Mais P. Féret signale une Determinatio facta in resumpta in domo Navarræ, dans le Paris, lat. 16 535. Par contre on a attribué à Oresme un très

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

volumineux traité De Antichristo et ejus minislris ac de ejusdem advenlus signis propinquis simul et remolis. Signalé par Launoi comme existant en ms. à la bibliothèque de Saint-Victor, il a été publié par Martène et Durand, au t. ix de VAmplissima collcctio, col. 1271-1446. Mais l’attribution à notre auteur doit être rejetée, elle ne repose que sur le titre du ms. d’après lequel les deux bénédictins ont imprimé le texte : Liber Bonaventurw secundum aliquos, secundum alios magistri Nicolai Oresme. Des recherches récentes feraient attribuer l’ouvrage à Guillaume de Saint-Amour (voir P. Féret, La Faculté de Paris, t. ii, p. 224). On a voulu également faire honneur à Nicole de la traduction française de la Bible dite de Charles V ; cette traduction est l'œuvre de Raoul de Presles.

Que Nicole Oresme ait été prédicateur, il n’y a pas à en douter. Il serait même l’auteur d’un Ars sermocinandi, contenu dans le Paris, lat. 7371. Launoi a connu un ms. contenant 115 sermons rangés selon l’ordre du temporal ; il y en a un à la Bibl. nationale, lat. 16 893. Un autre des discours de l’orateur a été publié ; c’est celui qu’il prononça la veille de Noël 1363, à la cour d’Avignon. Les protestants du xvie siècle, qui y lisaient des critiques assez vives des abus de la curie romaine, l’ont imprimé à plusieurs reprises, et d’abord Flacius Illyricus, en traduction allemande, dans le Catalogus testium veritatis, Francfort, 1573, fol. cccxxviii r°- cccxxxiir" ; puis Jean Wolf, en latin, au t. i des Lectionum memorabilium et reconditarum centenarii AT/, Lauingen, 1600, p. 648653. L’authenticité de ce discours est certaine, et il faudrait en rapprocher un Tractatus de malis super venturis Ecclesiam du Paris, lat. 14 533. Mais il faut rejeter résolument celle d’un pamphlet, composé sous forme d’une Epistola Luciferi adressée aux ecclésiastiques, les remerciant du concours empressé qu’ils prêtent au chef des démons. Texte dans le recueil susdit, p. 654-656.

Il y a une monographie sur Oresme : Francis Meunier, Essai sur la vie et les ouvrages de N. Oresme, Paris, 1857 ; mais elle ne dispense pas de recourir aux anciennes notices, et elle doit être rectifiée, sur bien des points, par les recherches nouvelles. — Du Boulay, Hislor. univ. Paris., t. iv, 1668, p. 977 ; J. Launoi, Regii Navarræ ggmnasii Pariensis historia, publiée en 1677, part. III, t. I, c. i, dans les Opéra omnia, t. iv a, p. 503-506 ; C. Oudin, Scripiores ecelesiastici, t. iii, 1722, p. 1111-1112 ; Fabricius, Bibliotheca lalina Medii JEvi, Hambourg, t. v, 1735, p. 369-372 ; Moréri, Le grand dictionnaire, éd. de 1759, à l’art. Oresme ; Gallia christiana, t. xi, col. 788 sq. ; P. Picard, Dissertation sur un traité philosophique de N. Oresme, dans Précis des travaux de l’académie de Rouen, 1851-1852, p. 456475 ; L. Wolowsld, Un grand économiste français du XI Ve siècle, N. Oresme, dans Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, t. LXII, 1862, p. 97-321, voir aussi p. 435-456 ; B. Hauréau, art. Oresme dans Diction, des sciences philosophiques, 2 6 édit., 1875, p. 1226 ; Ch. Jourdain, N. Oresme et les astrologues de la cour de Charles V, dans Revue des quest. hist., t. xviii, 1875, p. 136-159 ; du même. Mémoire sur les commencements de l'économie politique dans les écoles du M. A., dans Mém. de l’Acad. des inscriptions et belles-lettres, t. xxvinfc, 1874, p. 1-51 ; N. N. Oursel, Nouvelle biographie normande, t. ii, 1886, p. 316 ; P. Féret, La faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres, t. iii, Moyen Age, 1896, p. 289-304, Petit de.lulleville, Les origines de la Renaissance en France, N. Oresme, dans Revue des cours et conférences, IIe série, ive an., avril-juillet 1896, p. 6371 ; 200-209 ; E. Bridez, La théorie de la monnaie au Xi Ve siècle, N. Oresme (thèse), Paris, 1906.

É. A MANN.


ORGUEIL. — Ce mot traduit la superbia des théologiens. On le préfère au substantif superbe qui signale un accompagnement de faste et de vaine gloire, étranger au sens théologique du vocable latin ;