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    1. PASCAL##


PASCAL. SA THEOLOGIE

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Quelle est notre règle de foi.

1. C’est la Tradition.

— Si « toutes les religions et les sectes du monde ont eu la raison naturelle pour guide, les seuls chrétiens ont été contraints à prendre leurs règles hors d’eux-mêmes. » Fr. 903. Ces règles sont « celles que Jésus-Christ a laissées aux anciens pour être transmises aux fidèles », ibid., ou la Tradition, autrement dit les croyances de l’ancienne Église : « Si l’ancienne Église était dans l’erreur, l’Église est tombée. Quand elle y serait aujourd’hui, ce n’est pas de même, car elle a toujours la maxime supérieure de la tradition de la main de l’ancienne Église ; et ainsi cette soumission et cette conformité à l’ancienne Église prévaut et corrige tout. » Fr. 867. — Ces règles sont transmises par les Pères : « Voilà le sentiment des disciples de saint Augustin ou, plutôt, celui des Pères et de la Tradition et par conséquent de l’Église », Premier écrit sur la grâce, t. xi, p. 138 ; et avant tous saint Augustin : « Dieu conduit bien son Église de l’avoir envoyé devant avec autorité. » Fr. 869.

Ainsi Pascal est loin de l’idée d’un dogme progressant à la façon d’un arbre en croissance. La perpétuité est une marque de l’Église, mais la perpétuité dans l’immutabilité ; cf. fr. 844.

2. Rôle de l’Église et du pape.

La Tradition est enseignée aux fidèles par une Église « visible », fr. 857, qui est « proprement le corps de la hiérarchie », fr. 889, autrement dit, les évêques, les conciles et les papes ; cf. Premier écrit sur la grâce, loc. cit., cf. fr. 867. Or, » il est dit : Croyez à l’Église », fr. 852, et « toutes les vertus, le martyre, les austérités sont inutiles hors de l’Église et de la communion du chef de l’Église ». Lettre VI à Mlle de Roannez, t. vi, p. 217.

Dans l’Église, « le pape est premier. Quel autre est reconnu de tous, ayant pouvoir d’insinuer dans tout le corps, parce qu’il tient la maîtresse branche qui s’insinue pirtout ? » Fr. 872. Et si l’on considère l’Église comme un tout, le pape assure l’unité. Fr. 871. Toutefois on a tort de « ne proposer plus que le pape », fr. 832 ; on ne saurait le séparer « de la multitude », l’isoler, l’investir d’une puissance spirituelle indépendante des conciles et supérieure à la leur, indépendante même de la tradition. D’aucuns, qui y trouvent profit, exaltent en ce sens l’autorité du pape ; ils invoquent « quelques paroles des Pères », comme si de simples paroles d’honnêteté, disaient déjà les Grecs dans un concile, étaient des preuves ; cf. Bossuet, Remarques sur les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine de M. Dupin, c. i, 5e remarque. Mais « il faut juger de ce qu’est le pape par les actions de l’Église et des Pères et par les canons ». « L’unité et la multitude, Duo aul 1res in unum : Erreur à exclure l’un des deux, comme font les papistes qui excluent la multitude, ou les huguenots qui excluent l’unité. » Fr. 874 ; cf. fr. 871 et Lettre vi à Mlle de Roannez : « Pour l’union avec le pape, le corps n’est non plus vivant sans le chef, que le chef sans le corps. » Vu à la lumière de l’histoire, le concile est supérieur au pape : « Si la vérité a été contestée, il y a eu le pape, ou sinon il y a eu l’Église. » Fr. 849. Quant à la Tradition, elle commande le pape comme elle commande l’Église. Pourquoi défendre le pape de cette dépendance ? « Serait-il déshonoré pour tenir de Dieu et de la Tradition ses lumières ? et n’est-ce pas le déshonorer de le séparer de cette sainte union ? » Fr. 875.

D’autre part, l’autorité doctrinale du pape a les limites naturelles de toute autorité doctrinale : la nature des choses, le fait. Il lui est interdit d’imposer de croire qu’une chose est quand elle n’est pas. De la 17e Provinciale où il écrit : « Dieu conduit l’Église dans la détermination des points de foi, au lieu que, dans les choses de fait, il la laisse agir par les sens et par la raison qui en sont naturellement les juges », t. vi,

p. 358, jusqu’à sa dernière heure — on le verra Pascal soutient cette thèse.

Et parce que le pape est un homme et un homme au pouvoir, il peut être facilement trompé. Saint Bernard n’écrivait-il pas au pape Eugène III : « Il y a un défaut si général que je n’ai vu personne des grands de ce monde qui l’évite ? C’est… la trop grande crédulité, d’où naissent tant de désordres. C’est de là que viennent les persécutions violentes contre les innocents. .., les colères injustes pour des choses de néant, pro nihilo. » 18e Provinciale, t. vii, p. 47. Et combien y a-t-il « de papes et d’empereurs que des hérétiques ont surpris effectivement » ? Ibid., cf. fr. 832, 882. 920. C’est ainsi que le pape a condamné des saints : « Saint Athanase, accusé de plusieurs crimes, condamné en tel et tel concile, tous les évêques y consentant, et le pape enfin. » Fr. 868. C’est ainsi encore que des excommuniés « sauvent l’Église ». Ibid.

3. Pascal s’esl-il révolté contre Rome ? — « Il avait une très grande soumission à l’Église et à notre Saint-Père le pape », dira Beurrier à « M. Périer le fils », t. x, p. 365. Mais on lit dans le fragment 920 : « Le silence est la plus grande persécution ; jamais les saints ne se sont tus… Or, après que Rome a parlé et qu’on pense qu’elle a condamné la vérité, et qu’ils l’ont écrit et que les livres qui ont dit le contraire sont censurés, il faut crier d’autant plus haut qu’on est censuré plus injustement, et qu’on veut étouffer la parole plus violemment, jusqu’à ce qu’il vienne un pape qui écoute les deux parties et qui consulte l’antiquité pour faire justice… Si mes lettres sont condamnées à Rome, ce que j’y condamne est condamné dans le ciel : Ad luum, Domine Jesu, tribunal appello. »

Sur quoi Sainte-Beuve, loc. cit., p. 97 : « Tout à fait catholique et anticalviniste par sa façon d’entendre les sacrements, il se rapprochait des plus opposés à Rome sur l’interprétation et la qualification qu’il donnait aux sentences des pontifes et sa manière finale d’entendre l’Église lui permettait sous le coup de la mort de dire non au pape… et de le proclamer inslru ment direct et prolongé de mensonge. Ad tuum… »

Havet, Pensées, t. ii, p. 141, note sur le fragment 66 bis, compare à l’appel des jansénistes à propos de la bulle Unigenitus « l’appel mystique de Pascal à Jésus-Christ » et le proclame plus touchant. Le chanoine Rocher va plus loin : « Lorsque l’autorité pontificale l’eut justement frappé, l’orgueilleux écrivain se sentit blessé au cœur et il jeta ce cri de rébellion… », et plus loin encore le chanoine Didiot : « C’est la formule classique de toutes les hérésies, de tous les schismes, de toutes les apostasies », Rocher et Didiot, cités par E. Jovy, dans sa brochure D’où vient l’Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello, in-8°, Paris, 1916, p. 30 et 31.

E. Jovy a montré que ces paroles sont d’une lettre écrite vers 1119 par saint Bernard à son neveu Robert qui avait passé de l’ordre de Cîteaux à l’ordre plus facile de Cluny, après que les religieux de Ciuny eurent fait approuver cette démarche à Rome, en tronquant les faits : Veniet, veniet, qui maie judicala rejudicabit… Veniet, inquam, veniet dies judicii, ubi plus valebunt pura corda quam astuta verba…, quando quidem judex Me nec fallctur verbis, nec flectetur donis. Tuum, Domine Jesu, tribunal appello…, tibi commiltv causam meam qui judicas juste et probas renés et corda. Sur les lèvres du saint, ce n’était là ni un cri de révolte, ni une parole d’apostasie, mais un acte de foi en la justice divine. Pascal, qui est nourri de saint Bernard, comme tout Port-Royal, qui connaît en particulier cette lettre dont il a traduit une partie dans la 18e Provinciale, loc. cit., et qui se voit, comme le saint, en face d’un pape qui donne raison à ses adversaires et qu’il juge trompé, fait le même acte de foi en la justice de