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PÉCHÉ. PÉCHÉS DE LA RAISON


trine que nous avons agréée : « Cajétan signale une différence entre l’ignorance et l’erreur : l’ignorance, en effet, n’est un péché que si l’on ignore ce que l’on doit savoir ; mais l’erreur volontaire, en quelque matière que ce soit, est toujours tenue pour péché. Et ceci semble exact… Et la preuve en est que l’erreur de soi est objet mauvais et un défaut contraire à la nature de l’homme, qui ne peut être ordonné à aucune fin bonne : donc on ne peut l’aimer honnêtement. Confirmation : le mensonge est de soi mauvais ; donc un jugement faux est davantage mauvais. D’où il ressort que c’est toujours un péché de s’exposer témérairement aux erreurs, soit véniel, soit mortel, selon la qualité de la matière. Il en irait autrement si l’on se bornait à avoir une opinion probable, puisqu’alors on ne se trompe pas volontairement. » De peccalis, disp. V, sect. ii, éd. cit., p. 557.

Que l’erreur soit volontaire, cela arrive de plusieurs façons. Elle peut l'être directement : si l’erreur est elle-même l’objet de l’acte de la volonté ; par comparaison avec l’ignorance pareillement volontaire, on peut appeler ce péché l’erreur affectée. Elle peut être volontaire indirectement : si l’on se trompe pour avoir négligé d’apprendre ce que l’on doit savoir. Sum. Iheol., I » -II æ, q. xix, a. 6. Dans le cas où, ne voulant pas directement me tromper, cependant je juge en une matière que j’ignore n’ayant pas d’ailleurs à la connaître, il reste que je fais preuve de présomption ; mon erreur est par là volontaire : Non enim est absque præsumptione quod aliquis de ignoratis sententiam ferai, et maxime in quibus perieulum exislil. De malo, q. iii, a. 7.

Toute erreur n’est-elle pas volontaire, au moins en cette dernière façon ? Dès lors, toute erreur n’estelle pas un péché? La question a fait l’objet d’un récent débat. L’analyse psychologique de l’erreur ayant conduit le R. P. Roland-Gosselin à cette conclusion qu’au principe du jugement faux et forçant contre sa nature l’adhésion de l’esprit il y a une intervention de la volonté, on pouvait se demander si, de sa nature même, l’erreur n'était pas dans tous les cas coupable. Voir Roland-Gosselin, La théorie thomiste de l’erreur, dans Mélangea thomistes, 1923, p. 253-274 ; Henry, l.'imputubililé de l’erreur d’après saint Thomas, dans Revue néo-scolaslique, t. xxvii. 1925, p. 225-242 ; Roland-Gosselin, Erreur et péché, dans Revue de philosophie, t. xxviii, 1928, p. 460-17K ; compte rendu critique des précédents dans Bulletin thomiste, 1929, p. 180-190 ; cf. J. de Blic, Erreur et péché d’après saint Thomas, dans Revue de philosophie, t. xxix, 1929, p..'il 0-31 4 ; Dcleruc, Le système moral de saint Alphonse de Ligorj, Saint-Éticnne, 1929. p. 109-115.

Il est certain que saint Thomas reconnaît au principe de l’erreur de l’ange comme du premier homme un désordre volontaire sans lequel jamais cette erreur n’eût été possible. De main. q. xvi, a. (i ; Sum. Iheol., I*, q. lviii. a. 5 ; De ver Haie, q. wm. a. ', ; Sum, theol., I*. q. xr : iv, a. 1. Il est certain qu’en l’absence de l’objet évident, qui est son motif propre, l’intelligence d’elle-même s’abstiendrait de Juger ; aussi le premier homme, dans l'état d’innocence, n’avait-il pas

d’opinions. De ver.. Inr. cit. Mais, s’il faut recon naître une déchéance dans cette condition où nous sommes de juger, même en dehors de la foi siirnalu relie, sur l’intervention de la volonté, on n’y peut voir, « lans tous les cas, un mal de faute, Car l’homme a la (acuité de mesurer l’adhésion de son esprit selon les indices de vraisemblance qu’il a recueillis : soupçon, opinion, tous les degrés qui ont du doute ; i l.i irili lude ; il n’en est pas réduit infailliblement a ces deux i nies. Sous réserve que l’enquête ail été loyale el diligente, l’adhésion de l’intelligence, si elle est pro portionnée aux Indices, n’est p.is une faute. Il se peut

qu’on fasse erreur, il se peut que l’on juge vrai : il n’importe ; la démarche intellectuelle a été irréprochable. La formido errandi, qui subsiste en son jugement, sauve l’homme d’avoir mal usé de son intelligence, en ce cas où son objet propre faisait à celle-ci défaut. On peut établir que saint Thomas, dans les textes où il condamne l’erreur, ne vise pas cette opinion craintive. Bull, thom., loc. cit., p. 487-488.

Il semble même que, dans l’ordre pratique, la nécessité d’agir permette que l’on change en certitudes pratiques des jugements qui, absolument, ne devraient être que des opinions, si l’on a fait l’enquête loyale et diligente que comporte la situation. Sum. theol., I^-II 86, q. xix, a. 6 ; autres textes cités dans Bull, thom., loc. cit., p. 488. Mais, hors l’ordre pratique, la volonté peut-elle appliquer l’intelligence à une adhésion entière et, sans qu’il y ait motif de certitude, à savoir l'évidence (ou le témoignage divin), imposer la foi ? Absolument, il faut dire qu’en dépassant les garanties intellectuelles, la volonté impose un jugement injustifié ; et l’homme pèche contre ce bien de la vérité dont nous avons dit qu’il est inviolable. Notre appréciation rencontre exactement ici un énoncé de Cajétan : [opinio est illicita] dum nimis ftrmiter inhæretur opinioni et asseritur ut certum et indubitatum quod tamen est infra latiludinem opinabilium. Et hinc sœpe erratur ex nimio affeclu ad noslra et minore quam opus fuerit examine, resolutione ac judicio, dum probabilia accipiuntur ut demonstrata. Cajétan, Summa de peccalis, au mot Opinio. Néanmoins, on éviterait ce péché si l’on croyait invinciblement posséder l'évidence de ce dont on juge. Or, cet état est possible. Si l’on pouvait réduire ce jugement aux premiers principes évidents, on verrait bien qu’il est intenable. Mais celui qui l'énonce peut, en ce qui le concerne, être persuadé de sa vérité ; il a mis tous ses soins à bien comprendre cet objet ; il se croirait déloyal s’il en jugeait autrement ; en réalité, il se trompe, mais au principe de son jugement faux il y a une ignorance invincible. La considération d’une ignorance invincible s’introduisant au principe d’un jugement faux et sincère nous semble en cette matière d’une grande importance. L’analyse psychologique de l’esprit nous convainc que cet homme juge par le secours de sa volonté ; mais une telle interven lion de la volonté ne crée pas le volontaire : puisqu’il est à son principe une ignorance qui est l’ennemie do volontaire. On ne peut croire que l’on se trompe. Nous n’insistons pas sur les conditions de parfaite loyauté « lui sont ici requises, non seulement à Tins tant où l’on prononce le jugement, mais tout au long des informations qui l’ont préparé, sans laquelle l’erreur dont nous parlons ne sciait pas excusée d'être un péché. Nous signalons seulement le cas possible de l’intègre et résolue bonne foi. Aristote, pour ce cas, nous appuie, cal il est difficile, dit-il, de savoii si l’on sait ; se méprenant sur les principes de sa connaissance, on leur attribue une valeur qu’ils n’ont pas ni Analytiques, I. I. c. ix. 70 a. 26-30). Il faut prendre garde aussi que les hommes professent main les opinions sans mesurer exactement le degré d’adhésion qu’ils leur accordent ; ils en font usage soit pour l’action, soit même pour la spéculation et l’entretien de leur esprit, comme s’ils en étaieid certains, mais ils ii sont pas. en fait, attachés comme a des certitudes. On évite en somme le péché d’erreur dés qu’on n’entretient pas en faveur d’un jugement incertain un attachement sciemment démesure. De cette appré dation, nous rapprochons un texte « le saint Thomas

qui n’a pas été'. croyonS-nOUS, versé au débat ; en dehors des matières de foi et de nurui’s. lit on. les disciples peuvent lUiVn l’opinion de tel ou tel maître ISUIS verser dans le pèche d 'erreur : C8T en ce cas s’applique le mit de I polre / 'nusqutsque in suo sensu abnndel.