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PÉCHÉ ORIGINEL. LA CHUTE PRIMITIVE


mais qu’il ne saurait raisonnablement vouloir ou exiger ». M. Blonde), Le problème de la philosophie catholique, p. 26.

Créé dans cet état de nature pure, l’homme n’aurait pas eu lieu de se plaindre ; une telle création n’eût pas été indigne de la bonté et de la sagesse divines. Dans celle hypothèse, il n’y aurait pas eu de déchéance originelle possible, car tout ce qui appartient constitutionnellement à la nature ne peut être ni détruit, ni diminué même par le péché ; la sagesse divine en respecte la constitution et, partant, les lois essentielles qu’elle a fixées pour cette nature ; il n’y aurait eu, dans ce sens, rien à perdre.

Reconnaissons que cet état, purement hypothétique, eût été, pour Dieu, moins glorieux et moins libéral ; pour l’homme, moins béatifiant que celui qui, de fait, a été réalisé.

En fait, Dieu, dans sa libéralité, a appelé l’homme à la perfection la plus haute à laquelle, en l’aidant, il pourrait conduire une nature intellectuelle. Par la grâce sanctifiante qu’il lui a communiquée, il a voulu développer sa nature sur un plan qui dépasse toutes les exigences humaines ; il l’a haussée jusqu’à la participation à la nature divine ; il l’a habilitée à contempler celle-ci non plus seulement dans le miroir de sa création, mais face à face.

A ce premier don fondamental, il en a ajouté un autre ; pour compléter la perfection de l’état d’innocence et faciliter l’ascension humaine vers la vision béatifique, il a corrigé les défauts qui résultent nécessairement de la nature composée de l’homme. Par la grâce sanctifiante ou sainteté primitive, il avait soumis l’esprit et la volonté à Dieu, par la grâce d’intégrité ou de justice originelle, il va l’établir dans une merveilleuse unité intérieure. Telle est la perfection surnaturelle dans laquelle Dieu a établi l’humanité primitive en la constituant dans l’état de sainteté et de justice originelle.

b. Elle pouvait être perdue. — Cette perfection, parce qu’elle dépassait les exigences de la nature, et qu’elle n’était point dans l’homme par un épanouissement nécessaire de ses propriétés essentielles, mais comme un privilège gratuit, pouvait, à la différence de ses facultés naturelles, être perdue ; elle n’était point automatiquement incorporée à la nature humaine, du fait qu’elle lui était communiquée, mais requérait, selon le plan divin, une épreuve pour lui être assimilée de façon définitive.

Dieu ne la donnait point sans doute à la façon d’un don purement personnel, mais à la façon d’un bien commun, d’une propriété spécifique, velut accidens naturse speciei, destiné à devenir l’apanage de toute la race ; il y mettait toutefois une condition. Adam remplissait-il la condition posée, il transmettait à toute sa postérité le bien de famille dont il avait la garde ; devenait-il infidèle, il le perdait tel qu’il l’avait reçu, comme un bien de l’espèce, qu’il dissipait sans pouvoir plus le récupérer.

Mais, comment une nature ornée de telles prérogatives, établie dans un tel état de bonté et de rectitude qu’il lui suffisait de suivre l’élan reçu pour atteindre la parfaite béatitude, a-t-elle pu défaillir et se mettre ainsi dans l’état de perdre les privilèges qu’elle aurait pu et dû conserver ? C’est qu’elle restait une nature créée, une nature libre. La possibilité de défection dans la nature intellectuelle créée s’inscrit au sein même du don le plus magnifique, mais le plus redoutable aussi, de cette nature : dans le libre arbitre humain.

Cette liberté, dans l’homme primitif, avait beau impliquer non seulement la possibilité, mais la facilité d’atteindre le plus grand des biens, la béatitude éternelle ; elle comportait aussi la possibilité de se

détourner de sa fin, de refuser de réaliser sa destinée. Elle n’avait qu’à se laisser aller pour défaillir.

c. La perfection surnaturelle d’Adam ne comportait d’ailleurs qu’une plénitude relative. - - Tout en plaçant en dehors de la loi de l’évolution les privilèges dont Dieu avait orné la nature de l’homme, nous ne sommes point obligés de reconnaître en Adam toute la plénitude des dons dont était susceptible la nature humaine.

Un individu, quelque grand qu’on le suppose, ne saurait épuiser le travail de l’espèce au point de rendre inutile son progrès. Le théologien catholique, à la suite de saint Paul, distingue, dans l’histoire de l’humanité, une période d’enfance et une période de plénitude. C’est dans l’âme du Christ, le second Adam spirituel, qu’il place la plénitude féconde de la vérité et de la vie. La perfection qui convenait au premier homme dans son institution n’était point celle d’un individu arrivé au terme de la vie surnaturelle ; il n’était pas confirmé en grâce et n’avait pas la vision immédiate de Dieu. Ce n’était point celle de l’espèce arrivée à l’époque de sa pleine maturité ; c’était celle qui convenait à l’individu, créé immédiatement par Dieu comme chef de l’humanité et orné par lui des privilèges de la sainteté et de la justice, nécessaires pour lui permettre de faire lui-même les premiers pas dans la voie du développement surnaturel et y faire progresser l’espèce. Ses descendants devaient s’y engager plus avant.

C’était déjà le sens du témoignage de saint Irénée ; nous l’avons vu. L’homme, à ses origines, était inapte à recevoir une discipline de tout point accomplie. Il a reçu, sans doute, dès sa première institution, les forces et les illuminations en rapport avec sa qualité de chef du genre humain, mais cette première institution ne rendait point inutile l’intervention constante de la Providence surnaturelle qui devait, en utilisant le jeu des causes secondes et de l’expérience grandissante de l’humanité, faire progresser celle-ci vers une réalisation toujours plus complète de la ressemblance divine. Saint Thomas qui pose si nettement le principe de la perfectibilité humaine, Sum. theol., Ia-IIæ, q. xevu, a. 1, ne contredirait sans doute pas cette idée.

Les théologiens modernes, avertis par les sciences anthropologiques, ne peuvent qu’accentuer les déductions qui s’en dégagent : voir art. Justice originelle, col. 2029 ; Chr. Pesch, Gott und Gôlter, op. cit., p. 63 sq. ; Hugueny. dans Revue thomiste, t. xix, 1911, p. 82 sq.

A la lumière de la science de la religion des primitifs, ils conçoivent mieux la compatibilité entre l’existence d’une perfection relative de la vie religieuse et morale et le fait d’une culture matérielle embryonnaire au début de l’humanité. « Nous pouvons ainsi nous représenter le premier homme comme un grand enfant intelligent, d’une intelligence à vues directes et concrètes, artiste peut-être, mais n’ayant rien de ce que donne l’héritage d’un long passé scientifique et industriel. Au point de vue matériel, son état n’était pas évidemment celui d’une civilisation raffinée. J. Paquier, op. cit., p. 271.

En résumé, l’homme n’a pas été créé dans un état de « pure nature » ; il a été constitué dans un état de perfection surnaturelle relative, dont il pouvait déchoir tout en gardant la structure même de sa nature ; même dans cet état surnaturel, l’infirmité congénitale de la créature spirituelle, capable de défaillir et d’arrêter son évolution morale, restait sous-jacente à l’ordre de la grâce : la chute était possible.

b) Le fait de la chute. — a. Au point de vue dogmatique. — La doctrine de la chute ou du premier péché actuel du premier couple humain, telle que l’a définie le concile de Trente et précisée la décision récente de