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PROBABILISME. AVÈ N E M E N T, SU A H E Z

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confirmée l’obligation de la loi pour qui doute si tel

cas particulier y échappe ou non, I. V I, C. viii ; car alors, explique Suarez, il n’y a aucun principe moral qui permette de déposer pratiquement cette conscience douteuse ; de plus, la loi est alors possédante.

Quant aux doutes de fait, voici les conclusions de Suarez au traité des actes humains :

Circa dublum tact ! primo servanda est IHa régula juris : lu dubiis melior es/ conditio possidenlla, quæ, céleris paribus, verum tiabef In omnj miterla quoad hoc quod nullus débet spoliari re sua quam rattonablliter possidel propter soluni dubium, sive debeat spoliari ad exercendnm actum juslitiie ut est restituera, sive ad actum rcligionis ut est implerc VOtum seu a<l alla simili ; i. Secus vero est quoad alios usus, quia non semper uti licet re sua cum dubio aUcujus m ilitlse vel damni. De bon. et mal. Iium. act., disp. XII, sect. v, t. IV, p. 4-19.

De cet énoncé, dont on perçoit la nouveauté et la gravité, le développement se trouve dans l’étude du vœu, laquelle contient, pour l’histoire de notre problème, des passages décisifs. De virt. et statu religionis, tr. VI, De voto, t. IV, De obligatione voli, c. v, De obligatione voti de quo dubilatur an laclum sit, t. xiv, p. 935-940. Le premier, Soto semble avoir soustrait ce cas, où l’on doute si l’on a vraiment émis un vœu, à la règle du plus sûr ; Vasquez (cité par Suarez) l’en a sévèrement repris. Mais, ni chez Soto, ni chez aucun des auteurs allégués par Suarez, on ne trouve la discussion ex professa engagée ici, ni la portée générale qu’en reçoit le cas débattu. Le doute positif écarté (où l’on a une opinion probable, soit en faveur des deux partis, soit à l’avantage de l’un), et retenu le seul doute négatif (où l’on est sans opinion), qui est supposé avoir résisté à une diligente recherche, Suarez énonce :

His positis dico, eum qui post moralem diligentiam dubius minet de voto emisso et non potest ferre probabile judicium quod illud emiserit, non teneri ad talis voti obligationem.

La preuve invoque le « principe de possession », qui est dit jouer ici en faveur de la liberté. Et tout l’effort de Suarez est de justifier qu’on invoque dans le cas ce principe, valide, soutient-il, en dehors même des matières de justice. Nous assistons cette fois à l’introduction d’une règle juridique en morale comme principe de solution du doute mentionné. La règle tutioriste venait aussi du droit, et nous avons montré sa validité morale. En réalité, Suarez tente ici d’y substituer, et sur le même plan moral, la règle de la possession, qui doit conduire à des solutions tout opposées. Sur ce point aussi, nous savons Vasquez en désaccord avec son émule. Voir col. 471. Mais Suarez l’emportera, et cet usage du « principe de possession » sera bientôt l’un des traits caractéristiques du probabilismc. Il y a donc lieu de suivre attentivement sa démonstration.

Toutes les raisons, explique Suarez, qui peuvent justifier ce principe en matière de justice sont de nature à le justifier ailleurs. On en découvre quatre, qui semblent exhaustives. Et d’abord, par ce principe, il est signifié que là où il y a doute il y a égalité entre l’obligation de restituer et le pouvoir de conserver ; la possession confère alors un droit qui fait prévaloir ce dernier parti. Ou bien on signifie qu’il n’y a pas lieu, à cause du doute, de changer l’état des choses. Ou bien que l’ignorance invincible, qui est bien le fait d’un tel doute, excuse de l’obligation. Ou bien enfin que l’obligation étant chose onéreuse en soi, elle ne s’impose pas si l’on n’est pas assez certain.

Cette philosophie de la règle juridique ne paraît pas incontestable, et l’application qu’en fait Suarez au vœu est certainement illégitime. Que le doute, tout d’abord, signifie une égalité entre l’obligation de rendre et le pouvoir de conserver, on ne voit pas d’où l’auteur

prend cette supposition. Il y a dans le doute un conflit de raisons contraires, tel que l’esprit demeure en suspens, mais il n’est pas garanti que cette incertitude reflète un équilibre réel entre le devoir de restituer et le droit de retenir. La règle du droit ne fait pas correspondre au doute de l’esprit une situation objective équivalente. Mais, prenant acte du doute, elle fonde sur la possession le droit de ne pas se défaire du bien possédé. On comprend cette décision en matière de justice, OÙ l’autorité sociale détermine le droit. S’il s’agit du vœu, pas plus ici qu’en justice le doute par sa nature n’apprend rien sur ce qui est en effet ; d’autre part, qu’on détienne la chose, qui peut-être fut promise, ou que n’aient pas été accomplis encore les actes tombant sous le vœu douteux, ce fait découvre-t-il qu’on n’est pas obligé ? Il le découvrirait dans le cas où le sujet pourrait se dire : Si j’avais tait ce vœu, certainement je m’en serais déjà acquitté. » Mais alors le doute est résolu, et la possession prend rang d’élément objectif changeant le doute en certitude. Tel n’est pas le cas visé paiSuarez. Il entend que, dans cette égalité où, selon lui, on est mis par le doute entre le devoir d’exécuter le vœu et le droit de n’en rien faire, la possession de la liberté donne la prépondérance à ce droit et ôte l’obligation douteuse. Comment ne pas voir là une pétition de principe ? Car la possession de la liberté est elle-même engagée dans le doute. Se demandant si l’on a fait le vœu, ne se demande-t-on pas du même coup si l’on a pas aliéné sa liberté ? Et le fait qu’on a conservé jusqu’ici sa liberté (à moins qu’on ne le considère comme une preuve objective de la non-émission du vœu, mais telle n’est pas, encore une fois, la pensée de Suarez), comment conférerait-il le droit de la conserver encore puisque le sujet doute si elle lui appartient ? On ne résout pas un doute avec cela même qui est en doute. Mais, si le doute n’est pas résolu, d’où viendrait le droit d’agir comme s’il l’était ? En justice, la société le donne et elle est dans son rôle. Entre ma conscience et Dieu, qui peut me le donner ? A moins que Dieu même ou son Église en son nom ne prononce que le doute délie, personne ni rien ne peut me délier. Il y a ici extension à une matière où il ne vaut pas d’un principe strictement limité, aux dépens d’une obligation communément considérée comme certaine. La théologie morale vient de faire un nouveau pas vers le juridique. Son objectivisme séculaire en est atteint d’autant.

Ou bien, nous disait-on, la règle de la possession est fondée sur ce que dans le doute mieux vaut laisser les choses en état. La raison cette fois est peut-être bonne, et l’on comprend que le souci de la paix ait dicté ce principe. Mais, en matière de vœu, quel bien y a-t-il à laisser les choses en état ? On a promis un bien meilleur : à le rendre, il n’y a que l’inconvénient de la privation ou du dérangement que l’on s’impose. La transposition dans ce domaine de la règle de justice ne se justifierait que si l’on concevait l’obligation du vœu comme essentiellement onéreuse et indésirable. Il est permis de ne point partager ce présupposé du raisonnement de Suarez et de préférer le bien de Dieu au désavantage temporel d’un homme.

Ou bien la règle du droit suppose que le doute en question équivaut à une ignorance invincible, laquelle excuse de l’obligation. Cette fois, la raison est franchement inefficace. Quoi qu’il en soit du droit, jamais on ne justifiera comme règle de conscience ces équivalences : le doute, l’ignorance, la non-obligation. Voici l’une de ces confusions que le soin de la théologie classique fut surtout d’éviter.. Il y a un abîme de l’ignorance au doute. Ignorer, c’est ne pas savoir. Douter, c’est hésiter à fixer son jugement sur l’un des partis possibles et, si l’on tient que c’est aussi ne pas savoir, du moins est-ce ne pas savoir en des conditions absolument différentes de l’ignorance. Rien n’est mortel à