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2235 RELIGION. MÉTHODE ETHNOGRAPHIQUE, RÉSULTATS 2236

Un tel dieu, surtout par l’union en lui de qualités et de fonctions diverses, ne pouvait qu’exercer une impression profonde sur l’esprit et le cœur des plus anciens hommes, d’autant plus que le naturisme, l’animisme et le manistne n’avaient pas encore exercé leurs ravages. Tout en lui déroutait les constatations de l’expérience commune : seul, sans compagnons, femme ni enfants avant la création, toujours un et semblable à lui-même dans son éternité à côté de l’homme qui naît, vit et meurt et dont il tient les destinées en sa main et d’un monde qui est tout entier son œuvre. Les primitifs le croyaient agissant partout et cependant dépourvu de nos sens et, dans leur foi naïve, ils le revêtaient de lumière et de feu, éléments les plus immatériels, ou le plaçaient au ciel qu’ils concevaient comme immobile au-dessus des agitations de cette terre et infini par rapport à elle. P. 418-419. Il était en même temps tout-puissant et tout bon. Autre prodige 1 On objecte que les primitifs avaient une psychologie trop rudimentaire pour éprouver l’impression que le P. Schmidt leur prête : mais la mentalité des primitifs actuels n’a rien de froid et de figé, quant aux vrais primitifs des premiers âges ils avaient sur nous le privilège d'âmes fraîches, naïves, spontanées : ce n'étaient pas des blasés. (P. 421-423 : La psychologie religieuse des plus anciens hommes). Or, par son action sur leur esprit et leur cœur, la religion des primitifs à l'égard du Grand dieu satisfaisait à tous leurs besoins. « Le besoin de s’expliquer l’existence des choses se trouve satisfait par la croyance en un Être suprême, conçu comme créateur du monde et de l’homme. De même les besoins sociaux trouvent leur justification dans la notion d’un Être suprême, fondateur de la famille et, par suite, de relations réciproques de mari à femme, de parents à enfants, de frères et généralement de tous les individus apparentés entre eux. Satisfaction est pareillement donnée aux besoins moraux par l’attribution à cet Être suprême, dont la moralité personnelle est sans tache, des qualités de législateur, juge et rémunérateur du bien et du mal. Les tendances affectives à la confiance, à l’amour et à la gratitude, elles aussi, rencontrent un objet digne d’elles en cet Être suprême, qui est un Père, de qui l’homme ne reçoit que du bien et de qui lui viennent tous les biens. Enfin, le besoin d’un protecteur auquel l’homme puisse s’en remettre avec sécurité pour toute assistance opportune trouve de quoi se satisfaire en cet Être suprême que sa puissance et sa grandeur élèvent au-dessus de tous les autres.

L'Être suprême assure ainsi à l’humanité primitive la capacité pratique de vivre et d’aimer, la confiance de travailler, le ferme espoir de s’assujettir le monde et de ne pas en être écrasé, la généreuse ambition d’atteindre des buts situés au delà même et au-dessus du monde. Seule, cette notion de Dieu explique la courageuse marche en avant de la primitive humanité, qui, dès l’origine s’est mise à l'œuvre, a accepté sa tâche, a cru au progrès, a pris conscience de sa solidarité. Nous nous trouvons donc en présence, chez toute une série de peuples de culture primitive, d’une religion véritable, pourvue de tous ses éléments essentiels et dotée d’un elïectif pouvoir d’action. » P. Schmidt, Origine et évolution de ht religion, p. 347-348 ; p. 27 1 sq. de l'édition allemande, passage reproduit à peu près tel quel dans le t. VI de l' Ursprung, p. 12$1-$221. L’influence exercée par la pensée et le sentiment de l'Être suprême ne se traduisit pas simplement par l'étonnement, la stupeur ou l’admiration, mais de façon plus active et plus positive par la pratique morale et le culte. L’observation de la morale fut un acte de culte, sis prescriptions furent les prescriptions même de Dieu, cl elle tira ainsi la force dont elle avait besoin, contre les tendances naturelles (le la nature humaine à l’anar chie, de son rattachement à Celui que l’on considérait comme le seigneur, le maître, le propriétaire de l’homme, comme le rémunérateur en ce monde et en l’autre de ses bonnes et de ses mauvaises actions. Ainsi se forma une moralité religieuse, c’est-à-dire l’habitude de traiter Dieu avec respect, honneur, et même parfois une véritable profondeur de sentiments, tandis que des peuples plus avancés le négligent comme l'Être bon dont on n’a rien à craindre.

La famille étant rattachée à Dieu et fondée par lui, est d’un type assez élevé, où la monogamie est la loi générale et la femme traitée comme une compagne. C’est la religion aussi qui a établi des règles de moralité sexuelle. Elle a réglementé la guerre et établi les premiers droits de propriété. D’une façon générale on peut dire que, si les primitifs ne sont pas des anges et connaissent des passions violentes, ils ont le sens de la morale et l’habitude du repentir ; on enseigne les prescriptions de cette morale (exemples empruntés aux Pygmées, aux Arctiques, aux Peaux-Rouges, aux Australiens, p. 438), et on Croit que toute faute contre elles est une injure faite à Dieu.

La première manifestation du culte envers l'Être suprême est la prière. Il n’y a d’exception complète — du moins jusqu'à ce jour — à la pratique de la prière que chez les Andamans. Les Koryaks ne connaissent — du moins, semble-t-il — que la prière qui accompagne le sacrifice et ce n’est que la prière de demande qui paraît absente de chez les Holokwulup (Terre de Feu). D’ailleurs les primitifs prient de diverses manières, par paroles arrêtées en formules, mais aussi librement et sans texte consacré, par gestes ou par simple concentration intérieure, on a des exemples de chacune de ces sortes de prières, on conçoit sans peine que, pour la deuxième catégorie et plus encore pour la troisième et la quatrième, les observateurs aient pu en bien des cas ne pas s’en rendre compte.

Le sacrifice manque chez les tribus du sud-est de l’Australie et chez les Fuégiens les plus arriérés, Yamana et Holokwulup, et chez les peuplades de l’ouest de la Californie ; il est rare dans le centre-nord de cette péninsule. P. 448. Partout ailleurs il existe et principalement sous la forme du sacrifice de prémices, oblation des premiers fruits de la chasse et de la cueillette ou d’une minime partie des aliments avant le repas. Il signifie que les moyens de subsistance de l’homme appartiennent à l'Être suprême qui les donne à l’homme à certaines conditions : dépendance dans l’appropriation et usage avec ordre, sans gaspillage et en vraie révérence. P. 443-447. Là où le sacrifice est absent, où la prière est rare, se trouvent des cérémonies d’une grande importance, presque toujours de nature collective. Chez les Fuégiens, les indigènes du sudest de l’Australie et les Andamans, on initie la jeunesse aux devoirs de la famille et aux traditions tribales ; dans la plupart des cas, en particulier chez les Australiens, des invocations à l'Être suprême accompagnées de gestes appropriés se mêlent à l’initiation. Chez les Californiens du Centre-Ouest et chez les Algonquins de l’Est et de l’Ouest, on reproduit pendant quatre, huit, neuf, douze jours, presque tous les ans, la création du monde pour appeler sur le monde entier la laveur du Créateur. On trouve d’autres cérémonies chez les Arctiques, les négritos des Philippines, les Semang de Malacca, les Boschimans. Il est donc faux que les primitifs aient peu de relations avec l'Être suprême (Sôdcrblom et autres). Sous une forme ou sous une autre le culte se révèle chez eux comme la clef de voûte d’une religion complète et vivante (P. 465, Der Kult als Schlussstein einer vollen uiul lehendigen Religion).

A la fin de son ouvrage (le 1930 sur l’Origine et l'évolution de lu religion, le P. Schmidt écrivait : « Mais