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RELIGION. L’EXPÉRIENCE RELIGIEUSE, CRITIQUE


souligne). Cette conclusion se rattache pour notre auteur à la science positive de la façon suivante : « Mon hypothèse est donc celle-ci : quel qu’il puisse être au de la des limites de l’être individuel qui est en rapport avec lui dans l’expérience religieuse, le « plus grand » fait partie, en deçà de ces limites, de la vie subconsciente. En se fondant ainsi sur un fait psychologique admis de tous, on conserve avec la science positive un point de contact qui manque d’ordinaire au théologien. .Mais, en même temps, on justifie l’affirmation du théologien que l’homme religieux subit l’action d’un pouvoir extérieur ; car les irruptions du subconscient dans la conscience claire ont pour caractère de s’objectiver et de donner au sujet l’impression qu’il est dominé par une force étrangère. Dans l’expérience religieuse cette force apparaît, il est vrai, comme étant d’un ordre supérieur ; mais puisque, suivant notre hypothèse, ce sont les facultés les plus hautes du moi subconscient qui interviennent, le sentiment d’une communion avec une puissance supérieure, n’est pas une simple apparence, mais la vérité même. » P. 427.

Critique.

M. Boutroux, qui n’a pas ménagé les

louanges à W. James, a néanmoins fait remarquer que, si riche et pénétrante que fût son analyse, elle n’en a pas moins un domaine trop étroit. « Le sujet, dit l’auteur de l’Expérience religieuse, connaît que le mystère religieux s’accomplit en lui, lorsque à son cri de détresse : au secours 1 il entend une voix qui répond : aie courage ! ta foi t’a sauvé. Le moi humain est naturellement divisé avec lui-même et défaillant. Si l’harmonie s’y rétablit, si une force qu’il ne pouvait se donner lui est ajoutée, c’est qu’un plus grand que lui l’assiste. « 1. Mais, fait, à bon droit, ce semble, observer Hôfîding (Philosophie moderne, 1905), ces phénomènes eux-mêmes semblent insuffisants pour caractériser une expérience comme religieuse, s’il ne s’y joint une appréciation de la valeur de l’harmonie et de l’énergie que le sujet voit ainsi s’introduire en lui. Conçues comme purement analogues aux choses naturelles, cette harmonie et cette force ne supposeraient aucune intervention divine. Mais, si le phénomène psychique est interprété par le sujet comme le rétablissement d’un accord entre Dieu et l’homme, entre l’idéal et le réel, ou, selon la doctrine précise de Hôfïding. entre les valeurs et la réalité, alors le sujet rapportera l’apparition de cette harmonie et de cette force à l’action de Dieu comme principe des valeurs, et l’expérience, par là, présentera un caractère religieux. « Et, en effet, c’est le concept, c’est la croyance jointe au sentiment, qui, seule, caractérise ce dernier. Pour qu’une émotion soit religieuse, il faut qu’elle soit considérée comme ayant en Dieu, entendu lui-même religieusement, son principe et sa fin. C’est donc la foi, enveloppée dans l’expérience religieuse, qui la caractérise, et comme expérience, et comme religieuse. « L’importance de la foi est ici d’autant plus grande que, selon W. James lui-même, elle n’accompagne pas seulement l’émotion, mais a sur elle une réelle influence, et peut, dans certains cas, la produire à elle seule. La foi religieuse, qui, peut-être, porte Dieu en elle, n’est pas une idée abstraite : elle guérit, elle console ; elle crée son objet. Tandis qu’il cherche en gémissant, Pascal entend le Sauveur qui lui dit : « Consoletoi, tu ne me chercherais pas. si tu ne m’avais trouvé. » « Mais, s’il en est ainsi, l’expérience religieuse n’est pas ce principe entièrement indépendant des concepts, des dogmes, des rites, des traditions et des institutions que semblait dégager et isoler l’analyse de W. James. Car ces conditions extérieures sont, en quelque manière, des éléments de la foi. Comme elles la supposent, ainsi elles réagissent sur elle et déterminent son contenu. Dans l’expérience religieuse d’un individu donné,

si on l’analyse, on trouvera toujours, incorporée à sa foi, une foule d’idées et de sentiments liés aux formules et aux pratiques qui lui sont familières. De la foi religieuse elle-même, il faut dire qu’elle est, pour une part, une traduction de l’action en croyance. « Il semble donc permis de se demander, avec Hôfîding, si le fait même de l’expérience religieuse survivrait à la disparition de tous les éléments intellectuels, extérieurs et traditionnels de la religion. « 2. Les éléments, d’ailleurs, n’ont-ils d’autre valeur que celle qu’ils tiennent de leurs rapports à la conscience religieuse des individus’? La religion personnelle est-elle, à elle seule, tout l’essentiel de la religion ? « Sans doute le rôle social de la religion, si considérable que l’histoire nous le montre, ne sufïit pas à démontrer que la religion soit, originairement et essentiellement, un phénomène social. Il se peut qu’en fait la religion soit née dans les âmes d’individus enthousiastes et que, s’étant propagée par imitation, par contagion, elle ait revêtu peu à peu la forme de dogmes et d’institutions, comme il arrive aux croyances propres à assurer la conservation et la puissance d’une société donnée. Mais, alors même que le côté social de la religion serait un effet et non une cause, il ne s’ensuivrait pas que la religion purement personnelle fût, aujourd’hui même, la seule forme haute et vivace de la religion. « Déjà l’individu, en tant qu’il vise pour lui-même à la perfection religieuse, constate qu’il ne saurait s’enfermer dans une sainteté solitaire. Nul ne peut faire son salut tout seul. Car la personnalité humaine ne se développe, ne se crée, n’existe que dans l’clïortquc font les hommes pour s’entendre, s’unir et vivre la vie les uns des autres. Et ainsi, les choses communes, actes, croyances, symboles, institutions, sont une partie essentielle de la religion, même dans sa forme personnelle. « Mais la personne individuelle n’esl pas seule une valeur religieuse. Une société est aussi une sorte de personne, susceptible de déployer des vertus propres : justice, harmonie, humanité, qui débordent le cadre de la vie individuelle. Jadis c’étaient les religions qui avaient en mains les destinées matérielles et morales des sociétés. Si aujourd’hui elles ne disposent plus du gouvernement politique, ne peuvent-elles encore prétendre à démontrer aux nations leurs fins idéales, et à développer en elles, la foi, l’amour, l’enthousiasme, l’esprit de fraternité et de sacrifice, l’ardeur et la constance, nécessaires pour travailler à les réaliser ? « Une pareille tâche dépasse la religion purement personnelle. Elle suppose chez les membres d’une société donnée, le culte collectif des traditions, des croyances, des idées qui tendent à l’accomplissement de sa mission et à la réalisation de son idéal.

Si le sentiment est l’âme de la religion, les croyances et les institutions en sont le corps ; et il n’y a de vie, en ce monde, que pour les âmes unies à des corps. » E. Boutroux, Science et religion, Paris, 1908, p. 335339.

Sans doute il est parfaitement légitime dans l’étude de la religion de se borner, par raison de méthode et pour limiter un sujet immense, de s’en tenir à l’élément individuel. Mais cette limitation n’est recevablc que si d’abord on ne laisse pas croire qu’elle permet de donner raison de tous les éléments essentiels de la religion et V. James le laisse croire assez souvent, et que si d’autre part on ne témoigne pas d’un certain mépris pour toute organisation ecclésiastique. Or, sur ce dernier point, il y a dans l’Expérience religieuse un passage pénible qui fait contraste avec un exposé généralement si sympathique du phénomène religieux même sous sa forme catholique. « L’histoire nous montre que la plupart des génies religieux exercent autour d’eux une influence qui leur attire des dis-