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RÉ0RDINAT10NS. L’ACxE PREGREGOHIEN


en dépit de la doctrine correcte de Fulbert, une cérémonie de ce genre, si l’usage s’en est quelque peu répandu, a pu donner à des personnes de petite doctrine l’idée que c'était d’une réordination qu’il s’agissait.

Sur un autre point, en effet, on entend, à quelque temps de là, une affirmation fort nette de la nullité -des ordinations simoniaques. C’est dans une lettre de Guy d’Arezzo, à l’archevêque de Milan, Héribert, lettre qui passa bientôt pour une œuvre de Paschase Radbert, puis d’un Pascalis, que l’on identifia au pape Pascal I er. Texte dans Muratori, Antiq. ital., t. vi, p. 217 ; dans Mon. Germ. hist., Libelli de lite, t. i, p. 5-7 ; cf. aussi P. L., t. cli, col. 637. (Ce dernier est une forme brève ; le texte en effet est assez divergent dans les divers mss., et il est assez difficile de dire quelle est la forme primitive.) Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, le texte parle d’une « hérésie simoniaquc », du sacrifice invalide offert par les prêtres ordonnés simoniaquement ; croire que ces gens-là sont vraiment prêtres c’est une erreur : quns quidem sacerdotes esse saltem credcre omnino errare est. P. L., t. cli, col. 040. Une des additions refuse clairement aux simoniaques le pouvoir de consacrer le corps et le sang du Christ : patenter ostenditur quia nihil sacræ ordinationis in hac promotione percipitur. S’ils n’ont rien reçu des pouvoirs sacrés, une conclusion s’impose ; avant d’employer ces sujets, s’ils viennent à résipiscence, il faut leur conférer l’ordination.

Il semble bien que, dans la pratique, des réformateurs zélés aient tiré cette conclusion ; mais cette conclusion, insuffisamment inspirée par la doctrine, a souvent manqué de logique. On a fait, par exemple, la distinction entre les clercs ordonnés gratuitement, mais par un évêque simoniaque, et ceux qui l’avaient été pour de l’argent. Les premières de ces ordinations étaient déclarées valides, les secondes proclamées nulles. En ne considérant ici que les dispositions du sujet de l’ordination sans tenir compte aussi de celles du ministre, on se jetait dans d’inextricables difficultés. Et puis le mot « évêque simoniaque » n'était pas clair. S’il s’agissait seulement d’un prélat qui, d’ordinaire, vendait les ordinations, on comprend que le sujet ordonné par lui sans simonie pût être considéré comme validement investi de ses pouvoirs. Mais, si l'évêque était dit simoniaque pour avoir lui-même acheté sa charge et sa consécration, il aurait fallu, en bonne logique, considérer comme invalides et sa consécration à lui et, par voie de conséquence, toutes les ordinations qu’il aurait conférées. Dans l’ardeur de la lutte contre la simonie, on perdit souvent de vue ces distinctions essentielles.

3. Au temps de saint Lion IX.

La curie pontificale elle-même n'était pas à l’abri de cet emballement. D’une part, le pape Léon IX n’arrivait pas à se faire sur le point donné une opinion arrêtée ; autour de lui, d’autre part, deux théories s’affrontaient ouvertement l’une favorable, l’autre hostile aux réordinations.

a) Réordinations pratiquées par Léon IX. — On a contesté le fait ; pourtant il est absolument certain, attesté qu’il est tout aussi bien par les amis que par les adversaires du grand pape réformateur.

Pierre Damien, partisan pour son compte de la validité des ordinations simoniaques, ne laisse pas de rapporter l’objection que l’on pouvait tirer contre sa thèse de la pratique de Léon IX. C’est ce qu’il dit clairement, cinq ans après la mort du pape, en 1059, alors qu’il discute à Milan de la réconciliation des clercs simoniaques. Nos non pnelerit quod borne memorive nonus Léo papa plerosque (traduire plusieurs) simoniacos et maie promolos lanquam noviter ordinavit. Dans Actus Mediolanen., § De reconciliandis hieret., P. L., t. cxlv, col. 93. Il n’y a pas de doute qu’il faille

I traduire comme le fait L. Saltet, op. cit., p. 181 : « Le pape Léon a ordonné comme pour la première fois un certain nombre de simoniaques et d’irrégulièrement promus. » Les restrictions apportées par ce même auteur, dans l’appendice p. 408, ne nous paraissent pas fondées.

A côté de ce témoignage d’un ami de Léon IX, voici des dépositions d’adversaires. On sait que le pape fut amené à sévir contre l’hérésie eucharistique de Béranger. Celui-ci en conçut une vive irritation et, dans son De sacra coma, il accumule les griefs contre son juge. Il l’accuse en particulier d’avoir réordonné des évêques, dont il cite les noms, ceux de Limoges, de Rennes, l’abbé de Redon. Édit. Yischer, p. 40. Ce même passage témoigne d’ailleurs des hésitations de Léon IX : au concile de Yereeil (1050), il avait promis de ne plus pratiquer de réordinations ; mais plus tard, retombé à Rome sous la coupe des partisans de la réitération, spécialement du cardinal Humbert, il revint aux anciens errements. Si, comme le pense L. Saltet, dans l’appendice, les réordinations en question n’avaient consisté qu’en une cérémonie de réinvestiture par la traditio baculi, on ne comprendrait pas l’argument de Béranger. Attaqué dans sa science théologique, l'écolàtre contre-attaque à son tour et se gausse de l’ignorance théologique de son juge.

L'évêque d’Angers, partisan de l’hérétique, fait le même grief à Léon IX dans une lettre adressée au cardinal Humbert et connue par la réponse de celui-ci. « Léon, écrivait-il, a réordonné des évêques et condamné le livre de Jean Scot (il s’agit du traité de Ratramne sur l’eucharistie). » Humbert ne songe pas à contester le fait ; il déclare seulement — et tous les partisans des réordinations en sont là — que la première cérémonie ayant été invalide, il ne saurait être question d’un « renouvellement ». Texte dans Xeues Archiv, t. vii, p. 013.

Il paraît donc incontestable que le pape Léon IX a réitéré la cérémonie de l’ordination à un certain nombre d'évêques consacrés de manière simoniaque (nous disons un certain nombre, et fion la plupart, comme traduit L. Saltet ; c’est le sens régulier de plerique, et depuis longtemps, dans le latin ecclésiastique), qu’il penchait certainement pour cette pratique, quoi qu’il en fût de ses hésitations. Ses hésitations se comprennent d’autant mieux qu'à la curie même deux théories s’opposaient ouvertement sur le problème susdit.

b) Deux théologies contradictoires à la curie. — La doctrine de la validité des ordinations simoniaques est représentée par un réformateur qui est en même temps un savant et un saint. Dans son Liber gratissimus, dédié à l’archevêque de Ravenne en 1052, Pierre Damien prend nettement position. Texte dans P. L., t. cxlv, col. 99-156 ; et mieux dans Mon. Germ. hist., Libelli de lite, t. i, p. 15-75. Il a bien compris que le pouvoir d’ordre est un pouvoir ministériel : le ministre du sacrement est un canal qui transmet la grâce. Sans doute Pierre Damien n’est-il pas encore très au clair sur la question de savoir jusqu'à quel point est requise dans le ministre et le sujet l’orthodoxie de la foi en la Trinité ; cf. op. cit., c. xxiii, col. 135 B. Mais il est très assuré que les simoniaques ne sont pas des hérétiques, au sens vrai du mot, quoi qu’il en soit des expressions violentes employées dans la polémique. Si quelques-uns des textes qu’il apporte, d’ailleurs, ne sont pas incontestables, il reste qu’il fait valoir, avec beaucoup de raison, le trouble que jetterait dans la chrétienté la pratique des réordinations.

C’est à Pierre Damien qu’il semble bien que réponde le cardinal Humbert dans son traité Advcrsus simoniacos, P. L., t. cxliii, col. 1005-1212. Avec sa fougue coutumière, ce Lorrain intransigeant ne se lasse pas de développer ce syllogisme : les ordinations faites par