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THÉOLOGIE. SAINT AUGUSTIN

partie du De Trinitate sont l’expression de cette introduction de la scientia au service d’une recherche, d’abord exclusive, de la sapientia, avec prédominance de celle-ci. En sorte que, finalement, ce changement dans la position d’Augustin, capital au point de vue de ses idées sur la culture, n’affecte pas la structure de sa pensée sur l’intellectus fidei, sur la contemplation théologique et sur le rapport des connaissances humaines à cette contemplation, qu’elles aillent ou non jusqu'à englober les sciences profanes. Nous pouvons donc prendre la pensée de saint Augustin en son état le plus développé, celui du De doctrina christiana et du De Trinitate, l. VIII sq., qui seront d’ailleurs les sources principales du Moyen Age, pour définir sa position sans tenir autrement compte du changement introduit dans ses vues vers 391.

Saint Augustin est un homme qui a trouvé la lumière, la vie et la joie de son intelligence dans la foi. Il a lui-même fait l’expérience que la foi ouvre les yeux intérieurs de l'âme. Il y a une accession à la foi, dans laquelle la raison et les raisons jouent un rôle et il y a, par la foi et dans la foi, une guérison, un approfondissement, un élargissement de l’esprit par un effort d’intelligence et une activité de contemplation, en quoi consiste ce que nous appelons théologie. Ces deux temps ont été très nettement marqués dans la double formule bien connue : intellige ut credas, crede ut intelligas. Serm., xliii, c. vii, n. 9, t. xxxviii, col. 258. La seconde partie de cette formule a été elle-même reprise un très grand nombre de fois par Augustin, sous la forme d’un texte d’Isaïe cité d’après les Septante, Nisi credideritis, non intelligetis (l’hébreu eût voulu : non subsistetis), Is., vii, 9. Augustin cite ou commente ce texte, par exemple : Serm., xliii, t. xxxviii, col. 254-258 ; Serm., cxxvi, n. 1, col. 698 ; De lib. arb., t. I, c. ii, n. 4, et t. II, c. ii, n. 6, t. xxxii, col. 1224 et 1243 ; De doctr. christ., t. II, c. xii, n. 17, t. xxxiv, col. 43 ; Epist., cxx, n. 3, t. xxxiii, col. 453 ; En. in. ps. cxviii, serm. xviii, n. 3, t. xxxvii, col. 1 552 ; Tract, xxix in Joan., n. 6, t. xxxv, çol. 1630 ; De magistro, c. xi, n. 37, t. xxxii, col. 1216. Cette formule augustinienne est reprise très souvent au Moyen Age. Par exemple chez saint Anselme, Proslogion, c. i, P. L., t. clviii, col. 227 ; De fide Trinitatis, c. ii, col. 263 ; Hugues de Saint -Victor, Miscell., v, tit. 104, P. L., t. clxxvii, col. 804 ; Richard de Saint-Victor, De Trin., i, 4, P. L., t. cxcvi, col. 892 ; Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, præf. ; Alexandre de Halès, Sum. theol., l. I, tract, intr., c. i, ad 3um et c. ii, contra, b, éd. Quaracchi. t. i, p. 3 ; Kilwardby, De natura theol. éd. Stegmüller, p. 36 ; Saint Thomas, In Ium Sent., prol., a. iii, sol. 3 ; Sum. theol., IIa-IIæ, q. iv, a. 8, obj. 3 et q. viii, a. 5, obj. 3 ; Saint Bonaventure, Sermo « Christus unus omnium magister », n. 15, éd. Quaracchi, t. v, p. 571 ; Hervé Nédellec, Defensa doctr. S. Thomæ, Ia pars, De causis theol., a. v, éd. Krebs, 1912, p. 13*, etc.En cours

Nous ne nous étendrons pas sur la première activité de l’esprit, prenant place dans l’accession à la foi. Saint Augustin lui donne une grande importance et cela suffit à montrer le simplisme de tout jugement attribuant à Augustin une méconnaissance de la nature ; cf. Epist.. cxx, n. 3, P. L., t. xxxiii, col. 453, etc. ; Schmaus, op. cit., p. 172 ; Gilson, op. cit., p. 34 ; Homeyer, art. cité ; enfin ici, art. Augustin, t. i, col. 2338.

La foi ayant été reçue dans l'âme n’y est pas sans vie ni mouvement. Elle est, au contraire, une entrée dans le monde de la vie éternelle et son mouvement interne va à une certaine pénétration, une appréhension, bref une intelligence de son objet. De lib. arb., t. II, c. ii, n. 6, t. xxxii, col. 1243. Augustin appelle intellectus ce fruit de la foi.

Augustin note d’ailleurs constamment que cet intellectus n’est pas le fruit d’une foi quelconque, une pure connaissance ou un pur renseignement. Il est le fruit d’une foi « pieuse », c’est-à-dire pour laquelle Lieu n’est pas un pur objet connu, mais aussi une fin aimée vers laquelle s’oriente toute la vie. C’est cette pia fides, qui nous revêt de piété, qui a pour effet de purifier l'âme, de la guérir, de la mener enfin à cette vision ou à cette intelligence qui est le commencement de la vie céleste ; cf. Schmaus, op. cit., p. 174 ; Cayré, op. cit., p. 219 sq. ; Gilson, op. cit., p. 36-39.

Tel est Y intellectus augustinien : une contemplation de l’esprit croyant, aimant, qu’une vie conforme à sa foi et à son amour purifie et dilate. La foi, ici, joue son plein rôle de forme totale de la vie humaine. L’homme se perfectionne, même en son intelligence d’homme, en croyant et en obéissant au mouvement de la foi. On tient là une attitude spécifiquement augustinienne : le refus de séparer la connaissance, qu’elle soit « science » ou « sagesse », de son usage et de sa valeur morale, le refus d’en faire une pure réalité épistémologique, n’ayant pas, dans sa substance même, une référence à la fin dernière, à la béatitude ; ultérieurement, le refus d’une philosophie autonome et séparée ; cf. Gilson, op. cit., p. 148 sq., et L’idée de philosophie chez saint Augustin et chez saint Thomas d’Aquin, dans Acta hebd. augustinianœ-thomisticæ (Romse, 1930), Turin-Rome, 1931, p. 75-87.

Cependant, pour englober toute la réalité de la vie morale, la contemplation théologique augustinienne n’en implique pas moins l’usage de toutes les ressources des sens et de l’esprit. Augustin a conçu ici toute une dialectique de l’ascension de l’esprit vers Dieu, dont la vision d’Ostie constitue un immortel exemple, et le De Trinitate une mise en œuvre systématique. Pour monter vers Dieu dans ce mouvement de recherche en quoi consiste l’exercice de la sagesse, l'âme utilise d’abord les objets corporels, puis les ressources de la mémoire, c’est-à-dire les acquisitions de l’esprit, enfin elle trouve Dieu en soi, dans la partie supérieure de la mémoire. Cf. Cayré, op. cit., p. 201 sq. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’utilisation, par l'âme en quête d’intelligence des mystères, de similitudes sensibles d’abord, de toutes les ressources des sciences et des arts ensuite. C’est cet aspect de la théologie qu’Augustin qualifie de science, parce qu’il concerne directement l’usage des choses créées, en vue de la compréhension des divines, et dont il dit que la foi, la foi salutaire, qui mène à la béatitude, en est engendrée, nourrie, défendue et renforcée. De Trin., t. XIV, c. i, n. 2, t. xlii, col. 1037. Augustin a fait de cet usage des connaissances créées, pour la nourriture de la contemplation théologique, une application au mystère de la Trinité. Le plan du De Trinitate est à cet égard significatif. Les sept premiers livres représentent assez bien le stade du credere ; Augustin y établit l’existence des trois personnes, étudie leurs attributs et répond aux objections qu’on peut faire au dogme, tout cela en mettant en œuvre les sources de la théologie, l'Écriture d’abord, les Pères ensuite ; cf. Schmaus, op. cit., p. 179 sq. Les 1. VIII à XV forment une seconde partie, dont Augustin dit lui-même qu’il y procédera modo interiore et qui répond assez bien à la recherche de Y intellectus. Or, l’intelligence du mystère sera cherchée par l’examen et l'élaboration extrêmement poussée des images ou analogies du mystère que nous pouvons connaître. Ainsi tendra-t-on à Yintellectus de la foi, c’est-à-dire à ce que videatur mente quod tenetur fide, t. XV, c. xxvii, n. 49, col. 1096, grâce à des analogies multiples et de plus en plus élevées allant, suivant un ordre qui n’exclut pas les digressions, des images tirées des activités naturelles de l’homme, 1. IX-XI, en passant par les images tirées de l’activité morale du chrétien, 1. XII-XIII, jusqu'à l’image la plus parfaite, qui est celle de la sagesse, 1. XIV. Bien