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THOMAS D’AQUIN. VIE


du Saint-Siège, les maîtres en théologie de Paris durent s’incliner. Ils ne voyaient pas d’un bon œil ce professeur si jeune et d’une telle compétence. Il était considéré comme un concurrent et un intrus.

1° Maître en théologie. Enseignement à Paris de 1256 à 12~>9. — Thomas ayant été admis malgré sa jeunesse, entre le mois de mars et de juin, par le chancelier Hayméric à la licence, donne sa leçon inaugurale en expliquant devant des membres de la faculté le texte : Rigans montes de superioribus suis (Ps., ciii, 13). Bien qu’il fût maintenant docteur ou maître en théologie, possédant une chaire académique avec le cours correspondant, l’incorporation au collège des docteurs lui était encore refusée par l’hostilité de ceux qui ne voulaient pas le reconnaître. Saint Bonaventure se trouvait dans une situation semblable depuis 1248. Alexandre IV, le 23 octobre 1256, imposa aux maîtres de Paris de recevoir parmi eux Thomas d’Aquin et Bonaventure. Ce qui se fit le 15 août 1257.

Dans l’entretemps Thomas avait commencé son enseignement ordinaire, public et régulier au studium générale de Paris, à partir de septembre 1256. Comme texte scripturaire il commenta peut-être le livre d’Isaïe, mais sûrement l’évangile selon saint Matthieu distribué sur trois ans. Dans les disputes il traita aussi pendant trois ans les questions De veritate. Quand le maître tenait la dispute, toutes les classes de la faculté vaquaient, les bacheliers et les étudiants devaient être présents. Les auties professeurs pouvaient y assister. De fait on s’intéressait vivement à ces disputes ; on y voyait venir des ecclésiastiques vivant à Paris ou de passage, tant était grand le renom du professeur qui dirigeait cet exercice scolastiquc.

Quant à l’obligation du maître de prêcher, un témoignage fournit la preuve, non seulement que saint Thomas satisfaisait à cette fonction, mais aussi que les hostilités envers les réguliers continuaient. Quand il donna, le 6 avril 1259, un sermon universitaire en latin, le bedeau de la nation de Picardie n’eut pas honte de distribuer parmi les clercs et les autres auditeurs un libelle diffamatoire contre l’évêque de Paris et les mendiants, bien que ce libelle eût été publiquement condamné par l’évêque. Le pape, le 21 juin 1259, décréta une punition exemplaire à donner à ce bedeau et à son parti.

En ces trois années, saint Thomas employa aussi son temps à écrire. En dehors de ses leçons et disputes, de ses sermons et des conseils qu’il donnait à ceux qui recouraient à lui, il acheva les commentaires du De Trinitate et du De hebdomadibus de Boèce, de la première et la deuxième Décrétales du concile du Latran de 1215, du De divinis nominibus du pseudo-Denys et commença, à la demande de saint Raymond de Peiïafort, à composer sa Summa contra Gentiles.

Par son enseignement et ses vertus, Thomas gagnait beaucoup d’autorité dans les cercles universitaires et religieux. Son disciple, Nicolas de Marsillac, O. P., atteste particulièrement comment il pratiquait la pauvreté. Un autre de ses confrères, Raymond Severi, a laissé aussi une déposition sur les vertus du jeune professeur.

Il a certainement eu des égards envers son bachelier qui, entre 1258-1260, était probablement Hannibald de Hannibaldis, et envers les collègues de son ordre : Florent de Hesdin (1255-1257), Hugues de Metz (1257-1258), Barthélémy de Tours (1258-1259) ; tout autant envers saint Bonaventure (1253-1257) et les professeurs du clergé séculier, quoique la lutte contre les réguliers ne fût pas encore terminée. Il faut en outre signaler, parmi les religieux qu’il a certainement connus, Vincent de Beauvais, Pierre de Tarentaise, les provinciaux de France Thierry d’Auxcrre et Guillaume de Séguin, le maître général Humbert de Ro mans (1254-1263) qui avait d’abord été provincial de Paris (1244-1254).

Dans la commission des études formée au chapitre général de Valenciennes, au commencement de juin de 1259, à côté du breton Bonhomme, du picard Florent, de l’allemand Albert, figuraient l’italien Thomas d’Aquin et le savoyard Pierre. Cette collaboration au règlement des études de l’ordre était une distinction pour Thomas et un bienfait pour sa famille religieuse.

8° Séjour en Italie (12 9-1268). — Laissant sa chaire de Paris à Guillaume d’Antona, saint Thomas regagna sa patrie ex cerlis causis (Ptolomée). Selon l’hypothèse du P. Mandonnet, il aurait été d’abord à la cour pontificale d’Anagni (1259-1261), puis à Orvieto (1261-1263). Le chapitre de la province romaine, tenu à Naples le 29 septembre 1260, nomma Thomas prédicateur général pour rendre possible sa participation aux chapitres provinciaux. Ceux-ci se célébrèrent en 1261 à Orvieto, en 1263 à Rome, en 1264 à Viterbe, en 1265 à Anagni, en 1266 à Todi, en 1267 à Lucques, en 1268 à Viterbe. À dater de son retour en Italie, il reçut comme compagnon et secrétaire le P. Réginald de Piperno. De nouveaux devoirs lui étaient imposés par ses rapports immédiats avec Urbain IV qui le chargeait de la composition de l’office du Saint-Sacrement et de la réfutation des erreurs grecques, avec Clément IV, devant lequel, à Viterbe, il donna un sermon, avec des cardinaux (Hugues, Hannibald, etc.), avec des prélats, des princes et des érudits.

Ces relations lui donnaient d’autre part la possibilité de promouvoir le progrès des sciences. À la cour pontificale se trouvait, de 1261 à 1263, Albert le Grand et, à partir de 1261, Guillaume de Moerbeke qui excellait comme traducteur d’Aristote et d’autres auteurs grecs. On s’explique ainsi que saint Thomas ait étudié de si près la doctrine aristotélicienne dans ses Commentaires sur le De anima, le De sensu et sensato, le De memoria et reminiscentia, la Métaphysique, les Physiques. Il composa en outre la Calena aurea sur les évangiles, et de nombreux opuscules, acheva la Somme contre les Gentils et commença la Summa theologiæ. En 1265 il refusa le siège archiépiscopal de Naples. Le chapitre provincial de 1265 préposa Thomas d’Aquin à l’enseignement à Rome, où il professa au couvent de Sainte-Sabine depuis le mois de septembre, expliquant peut-être Isaïe et Jérémie. Il composa alors les questions De potentia, De anima et De spirilualibus creaturis et quelques quodlibets. Il prêcha une fois à Sainte-Marie-Majeure ou à Saint-Pierre, où il guérit une femme qui suivit son bienfaiteur jusqu’à Sainte-Sabine. Visitant le cardinal Richard d’Hannibaldi à la Molara près de Rocca di Papa, il y convertit deux juifs. Il a sans doute apprécié les marques d’estime papale pour son frère Aymon (12641267).

Le 14 juillet 1267, Clément IV charge Thomas d’Aquin de désigner deux frères pour servir Gualtier de Calabre, O. P., évêque de Dachibleh en Syrie. Dans le même mois Thomas avait représenté sa province au chapitre général de Bologne pendant lequel on transféra solennellement le corps de saint Dominique. A partir de l’automne 1267, il enseigna à Viterbe.

Entre temps de graves questions soulevées à Paris réclamaient une intervention du maître général qui s’adressa d’abord à Albert, le grand défenseur des mendiants et la grande autorité anti-averroïste, à Anagni en 1259. Mais Albert crut devoir s’excuser. D’ailleurs, le cas ne s’était pas encore présenté qu’un ancien professeur de Paris y remontât en chaire. Au lieu d’Albert, Thomas fut désigné pour Paris. Il reprit la route de la France, accompagné probablement par