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COMMUNISME

lin, se sentait fortement impressionné par les récits évangéliques de la vocation des apôtres, Luc, v, 11, 28 ; par le fait de la vie commune à Jérusalem, Act., iv, 35 ; par les promesses du centuple à ceux qui abandonnent tout pour suivre le Christ. Marc, x, 30. La parole :

« Si tu veux être parfait, » entendue à la messe, un

dimanche, décide Antoine : il vend ses terres et il vit en ermite du travail de ses mains. Vie de S. Antoine, n. 2, P. G., t. xxvi, col. 841, 843. C’est à ce genre de vie et sous la même inspiration qu’Antoine forme les disciples qui viennent s’installer dans son voisinage pour profiter de ses exemples et de ses leçons. Vie, n. 17, col. 867, 869 ; cf. n. 3, col. 811, 845.

Saint Basile atteste lui-même l’influence du communisme évangélique sur ses aspirations décisives à la vie monastique : « Je lus l’Évangile et je remarquai qu’il n’y avait pas de moyen plus propre d’arriver à la perfection que de vendre son bien, d’en faire part à ceux de nos frères qui sont pauvres, de se dégager de tous les soins de cette vie, en sorte que l’âme ne se laisse troubler par aucune attache aux choses présentes ; et puis, je désirai trouver quelqu’un de mes frères auquel cette existence agréât, afin de traverser avec lui la mer profonde de la vie. » Epist., ccxxiii, n. 2, P. G., t. xxxii, col. 824.

Saint Jérôme écrit à Pammachius, jeune consulaire de la gens Furia qui s’est dépouillé de ses biens et fait moine à la mort de sa femme ; il lui commente la parole de Jésus au jeune homme riche dans le sens où la prennent aussi saint Basile et saint Athanase. Epist., lxvi, ad Pammach., n. 8, P. L., t. xxii, col. 643 ; cf. Epist., xiv, ad Heliodorum, n. 6, P. L., t. xxii, col. 350-351 ; Comment. in Evang. Matth., xix, P. L., t. xxvi, col. 142.

Saint Augustin, de retour en Afrique après la mort de sa mère, vend tous ses biens et en donne le prix aux pauvres. Epist., ccxvi, n. 7, P. L., t. xxxiii, col. 480 ; clviii, n. 39, col. 692. Avec ses amis, il se retire sur sa propriété de Thagaste, aliénée d’ailleurs, pour y vivre dans le communisme décrit par les Actes. Sa sœur préside à Hippone un monastère de femmes, dont Augustin règle la vie par la célèbre lettre ccxxi, col. 960, 965, connue dans l’histoire des ordres religieux sous le nom de Règle de saint Augustin. Elle pose le principe du communisme en termes formels et inspirés des Actes :

« Ne dites pas que rien vous appartienne en propre ;

mais que tout soit commun entre vous ; et que votre préposée distribue à chacune de vous le vivre et le vêtement — non point à parts égales, parce que vos forces De le sont point uniformément, mais bien plutôt à chacune selon ses besoins. Ainsi, lisez-vous dans les Actes des apôtres que tout était commun entre eux et que chacun recevait à proportion de ses besoins. »

Conclusion. — Les Pères approuvent et pratiquent le communisme facultatif de la vie monastique ; les Pères condamnent le communisme prétendument universel et obligatoire des sectes hérétiques ; les Pères enseignent les communications de la charité fraternelle, qui oblige les riches au partage de leur superflu, mais sans les dépouiller de leurs droits de propriété, et en visant que celle-ci profite au bien de tous. — Il n’y a pas trace de ce qu’on appelle parfois le communisme des Pères dans cet ensemble de doctrines ; ce prétendu communisme n’a pu s’imaginer que par une lecture trop confiante de textes apocryphes (le fameux texte, dit de saint Clément), par une lecture hâtive de textes découpés et isolés. Le danger de ces erreurs devrait, comme l’a très bien dit M. Henry Joly, « rendre les écrivains sérieux plus circonspects et leur donner l’idée de vérifier leurs citations. Il est regrettable, par exemple, qu’un livre tel que celui de M. Espinas, Histoire des doctrines économiques, Paris, s. d., p. 69, note, croie pouvoir fonder toute une théorie historique de l’enseignement des Pères de l’Église sur des mots isolés ou tronqués, dont il dit seulement que tel auteur les a cités « sans indiquer les sources » . Cet auteur avait pris ses prétendues citations dans des brochures de quatrième ordre parues avant ou pendant la crise de 1848. — » Henry Joly, Le socialisme chrétien, Paris, 1892, p. 93, note 2. Cf. P. Janet, Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, 3e édit., Paris, 1904, t. i, p. 326.

VI. Les scolastiques et le communisme. — Les scolastiques nous introduisent dans un milieu doctrinal bien différent de celui des Pères : professeurs d’université ou d’école conventuelle, ils examinent, ils apprécient le communisme au point de vue du droit et de la justice, en théologiens spéculatifs ; mais sans viser à réformer les abus existants de la richesse, comme les Pères homélistes ; sans combattre des sectes vivantes, comme les Pères hérésiologues ; sans émettre de conseils ascétiques, à la manière des Pères cénobites. C’est d’un point de vue essentiellement abstrait que les théoriciens de l’École envisagent le problème du communisme ; et ce renouveau de la méthode réalisera d’abord certains progrès que ne permettait pas aux Pères le souci trop prochain du concret et de l’action.

Saint Thomas d’Aquin et Duns Scot parlent chacun du communisme, afin de taxer exactement la culpabilité du vol et le droit des particuliers à posséder.

Comme théologien, saint Thomas, Sum. theol., IIa II, q. lxvi, a. 1, 2, s’en réfère d’abord à la tradition que lui représente le texte de saint Augustin contre les apostoliques : après l’avoir cité dans l’argument sed contra, il conclut : « C’est donc une erreur d’avancer qu’il n’est pas permis à l’homme de posséder individuellement. » Mais saint Thomas est encore un théologien philosophe, qui expose le dogme rationnellement, selon ses convenances métaphysiques. Or, le problème du communisme n’est pas seulement résolu par la tradition chrétienne ; il est encore philosophique : Aristote le débat en face des utopies platoniciennes ; il en propose lui-même une solution fondée sur ses observations des sociétés helléniques. Aristote, Politique, l. II, c. i, § 10 ; c. ii, § 1. Commentateur d’Aristote, saint Thomas examine ses raisons et leur bien fondé. Comment. Polit., l. II, lect. iv. Ce ne sont donc pas de simples convenances rationnelles qu’il développera ici en faveur de la tradition ; mais de vraies preuves philosophiques. Il trouve là une vérité de l’ordre naturel que son affirmation surnaturelle par l’Évangile et par l’Église ne démantèle pas de ses moyens de démonstration.

C’est dans cette voie de la philosophie sociale que saint Thomas innove relativement aux Pères : ils s’occupent de la loi divine et non du droit naturel ; chez eux dominent l’exégèse positive des témoignages scripturaires et le souci des applications. La théorie philosophique y demeure implicite et voilée ; mais dans la Somme elle se dégage avec ampleur.

D’abord, elle précise le double fait d’usage et d’administration des biens extérieurs que l’état de propriétaire suppose normalement : 1° potestas procurandi et dispensandi ; 2° usus rerum exteriorum. Cette distinction ne se formule pas chez les Pères ; mais l’un et l’autre de ses termes s’y retrouvent alternativement examines, surtout le second, qui intéresse le plus la conduite du riche envers les indigents. IIa II ?, q. lxvi, a. 2.

Sous le rapport de l’administration, saint Thomas juge « permis et même nécessaire » que la propriété soit individuelle plutôt que collective. 1° Parce que le travail est plus intense, dès que chacun l’exerce pour soi ; car l’amour de notre bien propre est le plus vigoureux stimulant de noire action ; il met en œuvre toutes les énergies de notre nature spécifique et de notre individu. Cf. Polit., l. II, lect. iv, § Et dicit quod non potest