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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)

tenait En cours rien sur la possibilité naturelle de connaître Dieu, nous serions actuellement en face du problème critique exactement dans la situation de l’homme créé dans l’état de nature pure ; ce problème serait philosophique et la théologie n’aurait pas à s’en occuper directement. Si, au contraire, la seconde hypothèse était vérifiée, nous aurions pour la solution du problème critique des éléments nouveaux, des arguments proprement théologiques. Le fait de la révélation de ces éléments, la mise en œuvre de ces arguments ne nous feraient évidemment rien perdre des moyens de solution de ce problème qui sont dus à notre nature : ajouter de nouvelles données ne serait pas supprimer celles que nous fournissent les lumières naturelles de notre raison ; ce serait, au contraire, faciliter l’exercice de notre activité naturelle. Si donc Dieu avait bien voulu nous manifester sa pensée, et par conséquent la vérité, sur notre pouvoir naturel de le connaître, la critique philosopbique ne serait pas éliminée ; mais, à l’examen philosopbique se juxtaposerait un examen théologique ; à la certitude que peut produire la philosophie se superposerait la certitude qui dérive de l’affirmation divine.

Quiconque a saisi la portée de la seconde hypothèse que nous venons de faire, voit avec évidence que, dans cette hypothèse, il n’y aurait aucune pétition de principe, aucun cercle vicieux, à traiter dogmatiquement ou théologiquement du problème de la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu. Or, cette hypothèse est précisément celle que la foi catholique nous enseigne avoir été réalisée. Donc, sans nous attarder à dire ici comment les conceptions protestantes, jansénistes, etc., sont embarrassées sur cette question de méthode, nous pouvons commencer notre exposé théologique. La suite de ce travail justifiera d’ailleurs notre position. Cf. Franzelin, Le Deo uno, Rome, 1883 ; Traclatus de divina tradilione et Scriptura, Appen-dix de habit udine rationis humanse ad divinam /idem, surtout c. iii, Rome, 1875, p. 620.


III. Origine historique des erreurs condamnées au concile du Vatican.

1° C’est un fait depuis longtemps remarqué et universellement admis que l’athéisme spéculatif, très rare au moyen âge, n’a cessé de devenir de plus en plus fréquent depuis le xvie siècle : on peut dire que le scepticisme et l’athéisme à l’état endémique datent de la Renaissance et de la Réforme. Bayle, si empressé à grossir le nombre des athées anciens et modernes, cite, sans oser y contredire absolument, ces paroles de Clavigny de Sainte-Honorine, Discernement et usage des livres suspects, p. 82 : « Je ne trouve pas d’athées chez nous avant le règne de François I er, ni en Italie qu’après la prise de Constantinople. » Et, de fait, avant le XVIe siècle on trouve peu d’écrits pour ou contre cette forme particulière de scepticisme qui consiste à nier ou à mettre en doute l’existence de Dieu, tout en ayant une notion correcte de la divinité. A partir du XVIe siècle, au contraire, le scepticisme universel ou le pyrrhonisme en religion et en morale pullule de toute part. Sur ce point, le témoignage des protestants s’accorde avec celui des catholiques. Le ministre Viret (y L">71) nous apprend qu’il « y en a plusieurs qui confessent bien qu’ils croient qu’il y a quelque Dieu et quelque divinité. .. ; mais quant à Jésus-Christ… ils tiennent tout cela pour fables et rêveries… J’ai entendu qu’il y en a de cette bande qui s’appellent déistes, d’un mot tout nouveau, lequel ils veulent opposer à a théiste… Ces déistes se moquent de toute religion, nonobstant qu’ils s’accommodent quant à l’apparence extérieure de la religion de ceux avec lesquels il leur faut vivre, et auxquels ils veulent plaire, ou lesquels ils craignent. Et entre ceux-ci il y en a les uns qui ont quelque opinion de l’immortalité des âmes : les autres en jugent comme les épicuriens, et pareillement de la providence de Dieu envers les hommes… L’horreur me redouble que plusieurs… sont infectés de cet exécrable athéisme. Par quoi nous sommes venus en un temps où il y a danger que nous n’ayons plus de peine à combattre avec tels monstres qu’avec les superstitieux et idolâtres (c’est-à-dire les papistes). Car, parmi les différends qui sont aujourd’hui en la matière de religion, plusieurs abusent grandement de la liberté qui leur est donnée de suivre des deux religions qui sont en différend, ou l’une ou l’autre. Car il y en a plusieurs qui se dispensent de toutes les deux et qui vivent du tout sans aucune religion. » Viret, Instruction chrétienne, 1565, t. il, épître dédicatoire, cité par Bayle, art. Viret. Le théologien espagnol Vasque/ écrivait un peu plus tard : In ea vero (alheorum) sententia noslro sseculo multi hærelici plane conquiescunt. l’t enini testantur Hedio, in epist. ad Philip. Melanchthonem, et Lindanus, in suo Dubitantio, dutn pravi homines hujus temporis niaxima inconstantia ex catholicis /iuntlulheraui, e.c lutheranis zwingliani, et ex his calrinistæ algue singulas seclas experiuntur et profitentur, in profundum malorum prolapsi Deum esse negant. InSum., I-’.disp. XX, c. i. Le même théologien ajoutait, dans un passage qu’on ne lit que tronqué dans les vieilles éditions de Lyon, « qu’on appelle ces athées poliligues, parce qn’avec Machiavel ils ne voient plus dans la religion qu’un moyen de gouvernement, témoin Henri III de France, dont la fin devrait leur ouvrir les yeux. » Outre ces témoignages directs, la dilïusionde l’athéisme au xvie siècle se prouverait encore parla multiplication des écrits contre les athées. Dans l’épilre dédicatoire que nous venons de citer, le ministre Viret avertissait le lecteur qu’il augmentait beaucoup la seconde édition de son ouvrage : a) « pour ce que l’esprit de Dieu nous propose souvent, es saintes Ecritures, tout ce monde visible comme un grand livre de nature, et de vraie théologie naturelle ; b) à cause de l’athéisme. » La même pensée et la même préoccupation amenèrent le calviniste Pacard, ségusiain, à écrire sa Théologie naturelle ou recueil contenant plusieurs arguments contre les épicuriens et athéisles de notre temps, La Hochelle, 1579. Pacard dédie son travail à François de la Rochefoucault. prince de Marcillac, et lui fait cet aveu : « Au commencement de mon ministère j’ai eu à combattre plutôt contre telles gens (épicuriens et athées), que contre ceux qui nous sont adversaires au fait de la religion. Et Satan ne s’est point contenté de me poursuivre en ce commencement, mais m’a presque continuellement exercé en cette sorte de combat. » C’est la mode parmi les universitaires de crier à l’exagération quand ils lisent dans le P. Garasse ou dans le P. Mersenne certains chiffres sur le nombre des athées de leur temps ; il était donc utile de produire les aveux du ministre réformé Pacard.

2° Après avoir constaté le fait de la diffusion de l’athéisme à partir du XVIe siècle, il faut dire un mot des causes de ce fait. Évidemment, il faut ici se garder des explications simplistes, unilatérales, et du sophisme : posl h>>c. ergo propter hoc, auquel les chercheurs de filiations doctrinales semblent spécialement exposés. Sans doute, l’histoire ne manque pas de continuité, mais il y faut laisser une large place à la contingence. Une chose est nécessaire : le rapport de convenance ou d’opposition des idées entre elles : le fait île l’association de ces mêmes idées en tel cerveau, à telle date, est chose contingente, qui dépend elle-même de beaucoup de contingences. Ces faits contingents sont l’objet propre de l’histoire. Constatés, ils sont du plus haut intérêt pour le psychologue, dont ils élargissent le champ d’observation ; ils sollicitent l’attention du métaphysicien et du théologien spéculatif, dont ils fécondent les méditations sur des rapports que,