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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


turc ce qu’ils voulaient entendre d’eux, à savoir ce reste d’enseignement traditionnel auquel leur cœur restait attaché. C’est la phase moderniste. Le jour où l’on découvre que le sentiment mystique n’a pas de contenu intellectuel propre, le scepticisme s’impose — c’est l’athéisme brut — ou, si l’on s’attache encore au sentiment indépendant des « surcroyances » , l’athéisme mystique que nous avons signalé.

Ces erreurs d’interprétation sont si naturelles, que même dans les révélations authentiques et les cas de consolation vraiment divine, l’ascèse catholique distingue entre le premier temps qui est de Dieu, et le second où, par illusion insensible, peuvent s’insinuer les erreurs humaines. Cf. Bona, Traité du discernement des esprits, Tournai, 1840, c. iv, p. 56 sq. ; c. v, p. 62 sq.

Ces réactions affectives ne sont donc pas sans fournir aucune lumière à la vie religieuse, mais elles exigent à côté, au-dessusd’elles, une règle de discernement ; bref, elles présupposent, pour fonder une certitude, la connaissance de l’Absolu. Alors seulement, en comparant les caractères des émotions perçues avec les attributs divins, on pourra, avec une vraisemblance plus ou moins grande, reconnaître Dieu comme leur principe et déterminer avec quelque précision la fin qu’il vise et le sens qu’il leur donne. A ce moment, l’expérience n’est plus qu’un facteur de connaissance subordonné.

ri. COMME FACTEUR SUBORDONNÉ DE CONNAISSANCE.

— Sous le contrôle de la raison et de l’autorité, l’expérience exerce sur nos conceptions religieuses une influence considérable et de tous points légitime. Le zèle à réagir contre les exagérations protestantes el naodernistes ne doit pas faire oublier des thèses traditionnelles des mieux fondées.

1° Rôle considérable de l’expérience en tout ordre de connaissance. — Aucune de nos idées, dit l’adage classique, qui n’ait été à quelque degré fournie par l’expérience sensible : nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu. Il en résulte qu’on ne peut pas plus déposer dans une intelligence la science toute faite, qu’infuser la santé brute dans un corps malade, cf. S. Thomas, Snm. iheol., ! >, q. cxvii, a. 1 ; De veritate, q. xi, a. 1 ; Contra génies, 1. II, c. lxxv ; qu’aucune notion ne nous est intelligible, sinon par analogie avec nos expériences passées, cum aliquis… principia applical ad cdiqua parlicularia, quorum memoriam el experimentum per sensum accipit… ex nolis ad ignola procedens, cf. Sum. the.ol., loc. cit. ; que tout enseignement doit invoquer l’expérience acquise pour apprendre à la dépasser, quia omnis scientia ex præexistenli fil cognilione, et illa principia in conclusiones deducendo et proponendo exempta sensibilia ex quibus in anima discipuli formentur phanlasmata necessaria ad intelligendum. Cf. Contra génies, loc. cit. Homme ou ange, ou Dieu même, c’est le procédé nécessaire de qui prétend nous instruire. De verilate, q. xi, a. 3.

Ce principe rappelé, il importe de distinguer avec soin trois degrés de connaissance : 1. la connaissance caléchétique : celle du disciple dans l’esprit duquel le maître a fait pénétrer le sens du mot, décrivant la pureté par la propreté, l'énergie morale par l’endurance pliysique, etc. ; elle est si peu personnelle qu’elle semble versée (/.aroc/Éo)) dans l'âme du catéchumène, plus qu’assimilée ; 2. la connaissance pratique : celle de qui connaît par lui-même, soit par contact avec des cas concrets, personnes chastes et énergiques…, soit par exercice personnel de ces vertus ; 3. la connaissance dialectique : celle du logicien ou du philosophe, qui enchaîne et déduit les concepts. La première est juste un peu plus que verbale, la seconde expérimentale, la troisième toute abstraite. On peut exceller dans l’une des trois, en ignorant presque totalement

les deux autres. Dans les trois cas, on sait quelque chose, mais on sait mal.

Ces distinctions permettent d’expliquer bien des erreurs et quelques phénomènes psychologiques importants. On notera, entre autres, cette espèce de révélation qui paraît se produire, quand on passe de la connaissance ou catéchétique ou dialectique à la connaissance pratique. On savait les mots sans avoir touché la chose ; son contact produit une impression telle, qu’on paraît apprendre à neuf. Que l’on songe aux savants, le jour où « ils sortent de leur chambre, » et aux jeunes gens qui découvrent le monde, quand ils sortent de pension.

Importance spéciale dans la connaissance religieuse.

 Les observations précédentes ont une portée

particulière dans le sujet qui nous occupe.

Nulle part, en effet, l'écart entre les données sensibles, qui conditionnent notre savoir, et les réalités à connaître, n’est aussi considérable que lorsqu’il s’agit de l’Absolu et des vertus morales. Nulle part, la connaissance pratique, qui nous en est accessible (celle de la vertu), n’est susceptible de plus d’accroissements, ni sentie de manière aussi intime, ni liée à la représentation de l’autre terme par un lien plus étroit, puisque la vertu est assimilation progressive à l’Absolu. En conséquence, jamais les abus qu’occasionne l’usage indépendant des degrés de science indiqués plus haut (verbiage, dans le premier cas ; imprécision dialectique, dans le second ; constructivité abstraite, dans le dernier) ne seront aussi notables, les états d'âme qu’ils supposent aussi différents.

Déjà nous avons signalé les théories patristiques qui dominent cette question (théorie de la v.y.'iapa ::, col. 1818, et du don de sagesse, col. 1822). Il nous suffira de préciser quelques conclusions.

1. Influence sur nos représentations du divin. — Puisque, bon gré, mal gré, nous ne pouvons rien imaginer qu’en dépendance de nos expériences, ni concevoir Dieu autrement qu’au maximum de perfection des notions immatérielles que nous en avons déduites, toute idée que nous pouvons avoir sur Dieu est nécessairement fonction de nos états subjectifs.

Entendons bien. Les thèses critiquées précédemment font de ces états le pourquoi et la mesure de la connaissance ; il ne s’agit ici que d’un mode de représentation, justifié dans sa valeur et corrigé dans ses défauts par la raison : la sainteté divine est conçue nécessairement sur le type de la nôtre, sa justice, sa bonté, à l’image de la nôtre. A chaque stade de son progrès moral, l'âme épurée réalise donc, de manière plus parfaite, la notion idéale de chaque perfection et, l’appliquant immédiatement à Dieu, épure à chaque stade sa conception de l’Absolu. Quanto enim magis intelligis Deum… videtur in te crescere Deus… Sic est et inierior homo : proficit quidem in Deo et Deus in itlo videtur crescere. S. Augustin, In Joa., tr. XIV, n. 6, P. L., t. XXXV, col. 1505. C’est comme une révélation intérieure dont s’excluent forcément ceux qui négligent la pratique des vertus. Est ergo qusedam Dei manifestatio interior, quam prorsus impii non noverunt…, n. 2. Veniunt ad nos [Pater et Fit lus c' Spirilus Sanctus].dum venimus adeos… veniunt implendo, venimus cnpicndo, ut sit nobis non exiraria visio, scd interna, n. 3. S. Augustin, In Episl. I Joa., tr. VIII, n. 12, ibid., co. 2043. Cf. In Joa., tr. LXXIV, n. 4, 5, col. 1828.

Saint Bernard a exprimé heureusement la même pensée : Ex propriis [anima quse sunt pênes Deum agnoscit… Igitur qualem te paraveris Deo, talis oporlel appareat tibi Deus. In Cantic., serm. lxix, n. 7, P. L., t. cLxxxiii, col. 1115 sq. Ex reformatione… interioris liominis mei percepi utcumque spe iem decoris ejus. Serm. lxxiv, n. Q, ibid., col. 1141 sq.