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ESPERANCE

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son intérêt personnel. Le langage usuel attache cette idée au mot « espérance » et, c’est ainsi qu’« espérer » est pris dans ce texte où Jésus prêche le désintéressement : « Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. » Luc, vi, 35. Saint Augustin, dans le passage de son Enchiridion que nous avons cité, est formel : « L’espérance ne porte que sur un bien, et sur un bien futur et sur le bien personnel de celui qui espère. » Voir col. 606. Saint Thomas l’affirme clairement, nous le verrons bientôt. Saint François de Sales dit de l’espérance théologale : « L’amour que nous pratiquons en l’espérance, Théotime, va certes à Dieu, mais il retourne à nous ; il a son regard en la divine lîonté.mais il a de l’égard à notre utilité… Et partant, cet amour est vraiment amour, mais amour de connoilise et intéressé. » Traité de l’amour deDieu, 1. II, c. y.u, Œuvres, Annecy, 1891 » t. IV, p. 1-13. C’est bien ainsi, d’ailleurs, que les fidèles pratiquent l’espérance chrétienne. Enfin, la condamnation des propositions de Fénelon ajoute à tout cet ensemble de preuves le suffrage de l’Église. Voir plus loin, col. 662.

Pour se rendre bien compte de cet amour intéresse il faut remonter à la théorie générale de l’amour, telle que l’établit saint Thomas ; nous résumons ici cette théorie, qui n’est pas donnée ailleurs dans ce dictionnaire.

Avant tout le saint docteur remarque en nous, comme en tout être, des inclinations naturelles et nécessaires vers certaines fins proportionnées à notre nature : atteindre ces fins, c’est notre bien. « Le bien de chacun, c’est ce qui répond à sa nature et lui est proportionné. » Sum. Iheol., I » II^’, q. xxvii, a. 1. Écoutons un de ses commentateurs : « D’où vient que tous les êtres ont des inclinations particulières et diflérentes, sinon parce qu’ils ont des fins particulières auxquelles ces inclinations, qui sont comme leur poids et leur amour, les déterminent infailliblement ? Sans cette détermination, ce rapport et cette convenance, tous les êtres demeureraient comme en suspens, et ils ne pourraient se tourner d’un côté plutôt que de l’autre. » Massoulié, O. P., Traité de l’amour de Dieu, part. I, c. iii, Bruxelles, 1806, p. 36. Ces inclinations permanentes, racines de l’amour, notre conscience ne les atteint qu’indirectement par leurs effets, leurs actes ; nous sommes obligés de nous les figurer à l’image de ces actes, mieux connus de nous ; aussi les appelons-nous des appétits, des amours. « La correspondance naturelle (conniduralitas ) qu’il y a entre le sujet et le terme de sa tendance peut être appelée un amour naturel. » Sum. theoL, I’II » , q. XXVI, a. 1. « Naturel y évoque ici l’idée d’innéité et de nécessité. — Os inclinations naturelles, bien que perfectionnant le sujet, vont à divers objets. Elles ne peuvent se résumer toutes dans l’amour de soi ; mais, à côté de l’amour de soi, il y a l’amour naturel de l’ordre et de la justice, l’amour naturel de Dieu, etc. Voir.Xitktit, t. i, col. 1692, 1603, 1606.

Quant à l’amour proprement dit, qui est un acte véritable dont nous avons conscience, il ne commencera qu’A la rencontre fl’nn sujet capable de connaître et d’aimer, avec un objet bon, c’est-à-dire répondant à ((uelqu’une de ses inclinations innées. Le bien, en eflet, ne dépend lias simplement d’un caprice actuel qui jugerait bon n’importe quoi. Le bien, c’est ce qui correspond aux tendances mesurées à la nature de l’être par la sagesse « lu créateur ; et si, comme il arrive dans l’homme, ces inclinations multiples peuvent se trouver en conflit les unes avec les autres, le bien réel et moral sera dans leur subordination, clans le sacrifice de l’une à l’autre, accompli par la liberté humaine, d’après l’ordre objectif manifesté à la raison. C’est en ce sens qu’il faut entendre ces paroles de saint Thomas : « L’essence du bien consiste en ce qu’un objet réponde à l’appétit, sil appetibile.’Sum. IheoL, I » , q. v, a. 1. < L’objet qui meut la volonté, c’est le bien convenable conmi. -. De iiicdo, q. VI, a. 1. Voir Bien. t. ii, col. 836.

Le sujet rencontrant ainsi le bien par la connaissance, s’y complaira. « L’amour n’est que la complaisance dans un bien… L’amour implique une complaisance de celui qui aime en ce qu’il aime. » Siun. theol., I^ II » , q. XXV, a. 2 ; q. xxvii, a. 1. Cette cr.mplaisance est un acte si simple qu’on ne peut le résoudre en éléments, l’analyser, quoique l’expérience nous en donne une idée claire. Saint Thomas cherche à la décrire par « une sorte d’adaptation » vitale, « une sorte de consonance » , le sujet se sentant comme à l’unisson de l’objet. Sum. theol., I" II-’-, q. xxvi, a. 2 ; q. xxix, a. 1. L’amour peut s’arrêtera cet acte incomplet ; mais il peut aussi aller plus loin, comme nous allons voir.

Jusqu’ici, l’amour ne supposait que deux termes : le sujet qui aime, le bien où il se conjplaît. Dans son plein développement, il en aura trois, suivant cette autre définition de raint Thomas eiuDruntée à Aristote : Amare nihil aliud est quam velle bonum alicui. Sum. theol., I » , q. xx, a. 2. Voilà les trois termes : une volonté qui aime, et deux objets diversement atteints par son acte unique, à savoir, un bien qui est directement voulu (finis qui), et tine personne à l’avantage de laquelle ce bien est voulu (finis cui, ou subiectnm cui). J’entends voulu d’une manière réfiéchie et libre, car c’est l’arte libre qui nous intéresse au point de vue moral qui nous occupe. C’est ce dernier terme qui manquait ; la simple complaisance : grâce à une abstraction facile, on se passionnait pour un bien (le savant pour la science) sans le rapporter à l’intérêt de personne. Ce bien, maintenant, on le dirige vers l’intérêt de quelqu’un. C’est à une personne qu’aboutit ainsi l’amour dans son plein dévelo|)pement.

Quelle sera cette personne ? La nôtre, ou celle d’autrui : et de là deux espèees d’amour. Supposons, par exemple, que nous aj’ons remarqué en quelqu’un une grande générosité de cœur. La simple complaisance que nous avons prise d’abord dans cette aimable qualité, peut aboutir ensuite à l’un ou à l’autre de ces deux actes.

1. Amour intéressé.

Voyant que nous pouvons profiter de cette générosité d’autrui, nous la tournons à notre profit, nous la voulons pour nous-mêmes. Alors c’est la même personne (eqo) qui est le sujet voulant et le sujet à qui le bien est voulu. Quant à celui dont nous aimons la générosité, il est aimé, sans doute, à cause de l’intinie union entre lui et sa qualité qu’on aime, mais aimé d’un amour de convoitise, antorc coicupisccntin’. « Amour intéressé ", pouvons-nous (lire en français, pour être compris de tout le monde. Évitons seulement d’attacher à ce mot quelque chose d’essentielh’ment odieux ; ce serait préjuger la question. Ce sens péjoratif ne se rencontre pas toujours en notre langue : par exemple, quand nous disons à quelqu’un que nous lui faisons une visite intéressée, et nous avons entendu saint François de Sales appeler l’amour surnaturel d’espérance’amour de convoitise et intéressé >

2. Amour désintéressé. —

Si cette qualité d’un autre, cette générosité, par exemple, nous pénètre jusqu’à nous enthousiasmer pour lui, jusqu’à concevoir pour lui ce mystérieux élément de l’amour qui échnppe à l’analyse, et que saint Tlionuis aiipelle unio (iffertus, Sum. theol., I » H*’, q. xxvit. a. 2, nous en viendrons à c(nisidérer sa générosité non pas comme utile à nous-mêmes, mais comme bonne et glorieuse à celui qui en est ennobli et embelli. Alors, nous la voudrons pour lui, nous souhaiterons qu’il la garde toujours, nous désirerons d’autres biens encore à la per-