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ESPERANCE

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{ » al ce ferme propos, qu’il soit renouvelé dans l’acte même ou qu’il y persévère virtuellement eu vertu d’un acte qui a précédé. Il affecte d’une modalité spéciale l’amour d’espérance, comme aussi l’amour de charité ; par lui l’amour de Dieu devient, comme disent les théologiens, amor apprelialive summiis. Seulement ce super omnia, cette souveraineté de préférence, se diversifiera dans l’espérance et la charité, suivant la diversité fondamentale et la valeur inégale des deux amours de convoitise et d’amitié. Voir col. 623.

Dans l’espérance, où nous aimons Dieu comme notre bonheur, nous préférons ce bonheur ineffable et nécessaire, ce « salut » , malgré son éloignement, son mystère et son incertitude relative, à tous les faux bonheurs de la vie présente ; en dépit de toutes leurs séductions, nous ne voulons pas renoncer pour eux à notre bonheur éternel. En dépit aussi de toutes les difficultés qui tendent à nous décourager, nous ne renonçons pas à ce bonheur, appuyés que nous sommes sur le secours divin, que nous préférons à toutes les forces purement humaines, et à tous les secours trompeurs. Préférer au secours de la grâce nos forces naturelles serait la présomption, funeste à l’espérance théologale ; renoncer au ciel à cause des difficultés serait le désespoir, également destructeur de l’espérance ; tant que nous ne renonçons pas au ciel, ni par conséquent aux moyens de l’acquérir, tels que le pardon et le secours divin, l’espérance vit encore. Elle se propose de faire, avec l’aide de la grâce, tous les sacrifices nécessaires au salut : de les faire, sinon maintenant, du moins plus tard ; ce minimum peut suffire à l’espérance théologale, nous le savons par les documents positifs : car le pécheur, qui ne se sent pas encore le courage de faire les sacrifices nécessaires pour se réconcilier aussitôt avec Dieu, peut cependant faire un véritable acte d’espérance. Voir ci-dessus, col. 607, 637. Le désespoir ne détruit donc l’espérance que parce qu’il renonce complètement au travail du salut, non seulement pour le présent, mais encore pour l’avenir. Ainsi la doctrine catholique reconnaît dans le pécheur non seulement la possibilité de la foi, mais encore celle de l’espérance salutaire avec son super omnia, et par suite, la possibilité de la prière surnaturelle, qui est un fruit de cette espérance, et qui lui obtient des grâces de conversion. Cette doctrine est consolante ; elle n’éteint pas la mèche qui fume encore ; elle encourage les premiers essais de retour, les velléités mêmes, et permet, avec le secours de la grâce, une disposition graduelle de la volonté au pardon divin.

Souvent, il est vrai, le motif intéressé de l’espérance ou de la crainte, grâce aux prédications, aux méditations sur les fins dernières, et surtout à l’action de la grâce, agira de façon si intense, qu’il amènera le pécheur à faire sur-le-champ tous les sacrifices, à renoncer dès maintenant à tout péché mortel, à toute occasion de pécher à laquelle il faut renoncer pour que le ferme propos soit sincère. Il ne voudra plus remettre sa conversion à un avenir incertain ; il voudra ne rien négliger, ne rien retarder. C’est alors que l’attrition, en « excluant la volonté de pécher » , atteindra le point d’efficacité nécessaire pour obtenir le pardon en vertu du sacrement de pénitence. Voir col. 608, et Attrition. Mais ce ferme propos d’éviter tout péché mortel, quoique souvent produit par le motif de l’espérance ou de la crainte, n’est pas essentiel à l’espérance théologale ; l’acte d’espérance peut se trouver dans le pécheur qui n’a pas encore ce ferme propos, qui reste attaché à sa mauvaise habitude, ou à l’occasion du péché. Et la raison en est que le péché mortel présent ne détruit pas absolument, mais conditionnellement, la future béatitude : il privera de la fin dernière, si avant la mort il n’est pas effacé par la pénitence. Platel, loc. cit., n. 319. De plus, les grâces nécessaires à la conversion ne sont pas refusées même au pécheur qui a retardé sa pénitence. Il peut donc, à la rigueur, faire ce raisonnement : < Plus tard je puis et je veux me convertir ; je ne renonce donc pas à mon bonheur éternel. » D’autre part, la crainte des surprises de la mort tend à le détourner de ce calcul comme dangereux.

Ici apparaît de nouveau la supériorité de la charité sur l’espérance, I Cor., xiii, 13 ; non seulement comme noblesse de motif et union plus parfaite avec-Dieu, voir col. 623 sq., mais encore comme efficacité d’influence sur toute la vie morale. Quand on aime Dieu pour lui-même comme un ami, et que cet amour est suffisamment maître de l’âme, un nouveau principe vient combattre ces tristes calculs, outre leur danger pour nous. « Oui, dira la charité, l’affection gardée pour un temps au péché mortel te laisserait encore des chances de salut ; elle ne détruirait absolument ni l’objet spécifique de ton espérance, la béatitude céleste, ni l’espérance elle-même : mais, ce qui te touche plus que ton propre bonheur, elle irait absolument contre la volonté du céleste ami, elle le peinerait et le crucifierait de nouveau, Heb., vi, 6, elle prolongerait un état d’inimitié avec Dieu : c’en est assez pour n’en vouloir à aucun prix. » Ainsi le motif désintéressé de la charité, s’il a cet inconvénient pratique que le commun des chrétiens en est moins touché, a cet immense avantage d’exclure le péché d’une manière plus radicale ; sa chaîne d’or peut rattacher à Dieu plus puissamment que tous les autres liens. Cf. Rom., VIII, 35. Ainsi la charité est incompatible avec tout péché mortel quel qu’il soit, parce que tout péché mortel rompt ramitié avec Dieu ; et le ferme propos de ne commettre, dès maintenant, aucun péché grave, d’observer tous les commandements, bien qu’il ne soit pas essentiel à l’acte parfait d’espérance, est essentiel à l’acte parfait de charité. Ainsi la charité, comme une reine, commande des actes à toutes les autres vertus, I Cor., XIII, 4 sq., et par là devient « la plénitude de la loi » . Rom., XIII, 10. « Si vous m’aimez, gardez mes commandements… Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime. » Joa., XIV, 15, 21. Voir Charité, t. ii, col. 2234.

Ces considérations confirment deux propositions que nous avons énoncées plus haut : 1. Quand il s’agit de distinguer la charité et l’espérance, la différence vraiment fondamentale est celle de l’amour désintéressé et de l’amour intéressé. Voir col. 623. 2. L’espérance préfère Dieu à tout, mais à son point de vue particulier, in sua linea ; le super omnia essentiel à l’espérance est différent de celui qui est essentiel à la charité, et lui est très inférieur. Et l’on voit ce qu’il faut penser de ces deux assertions de Schiffîni : l’amour de concupiscence n’aime en aucun sens Dieu par-dessus tout, et donc ne peut être un acte théologal. De viriuiibus, p. 396. Si l’espérance théologale était un amour de Dieu et avait pour objet sa bonté relative à nous, y adhérant par-dessus tout, il faudrait dire d’elle, comme de la charité, qu’elle est incompatible avec tout péché mortel, ce qui est faux, p. 384. Voir Cli. Pesch, Prælectiones theol., 3e édit., t. VIII, n. 496, p. 235.


IX. Valeur morale de l’espérance chrétienne ; son apologie à travers les siècles.

Cette question est la principale au point de vue de l’apologétique et de l’histoire des dogmes. A diverses époques et encore de nos jours, on a dénié à l’espérance chrétienne sa valeur morale à cause de l’amour intéressé qu’elle implique ; on l’a blâmée soit parce qu’elle ose adresser un tel amour à Dieu lui-même, soit parce qu’elle subordonne la pratique de la vertu à la récompense, c’est-à-dire à notre propre intérêt. D’autres, au contraire, ont exagéré la valeur morale de cet amour