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FLAGELLANTS


ou éteindre les feux de la concupiscence, quelques chrétiens eurent l’idée de se faire fouetter ou de se flageller eux-mêmes, en s’appuyant sur le mot bien connu de saint Paul : « Je traite durement mon corps et je le tiens en servitude. » I Cor., ix, 27. Le verbe employé par l’apôtre, ùitomi^m, signifie littéralement meurtrir d’un coup de poing ; à sa place, quelques manuscrits, suivis par la Vulgate, portent vittaiziâÇu), casligo, je châtie, j’u/flige. On pourrait donc à la rigueur comprendre la flagellation comme l’une des manières de châtier son corps, auxquelles avait fait allusion saint Paul. Toujours cst-il que ce qui ne fut, parmi quelques ascètes mortifiés, qu’un usage d’initiative privée devint une pratique régulière à Font-Avellanc, au xr ; siècle, grâce à saint Pierre Damien, alors abbé de ce monastère ; celui-ci, en effet, avait prescrit à ses moines de se donner la discipline avec le fouet chaque vendredi. Quand on l’apprit, il se trouva quelques esprits chagrins parmi les clercs et les laïques pour blâmer cet usage comme une innovation contraire à la tradition et aux règles monastiques. Mais Pierre Damien justifia sa mesure, en observant que, " si nous devons attendre la mortification les un> des autres, nous sommes dispensés de porter noire croix, puisqu’il n’y a plus de persécuteurs pour nous crucifier. » Et il ajoutait : « On ne condamne pas celui qui jeûne sans l’ordre du prêtre ; pourquoi condamner dès lors celui qui se donne la discipline de ses propres mains » Epist., I. IV, epist. viii, P. L., t. cxliv, col. 350. Sans désapprouver absolument la discipline nouvelle, le moine Cerebrosus en blâma l’excès et la longueur. Pierre Damien répliqua de nouveau : « S’il est permis de se donner cinquante coups de discipline, pourquoi pas soixante, cent, ou plus encore, ce qui est bon ne pouvant pas être poussé assez loin ? » Epist., 1. VI, epist. xxvii, ibid., col. 417. Il lit même adopter ce genre nouveau de pénitence par les moines du Mont-Cassin. Opusc, XLIII. El peu à peu l’usage pénétra dans d’autres ordres religieux.

Loin de rester confinée dans l’ombre des cloîtres, la flagellation volontaire et personnelle trouva des partisans parmi les simples fidèles. Il arriva même, a 1 1 suite des prédications de saint Antoine de Padoue (j-1231), que des auditeurs convertis se mirent à la pratiquer publiquement. Cet exemple ne devait pas être perdu, et quelques années plus tard, en 1360, il fut suivi par de nombreux imitateurs.

2° Au xiii’siècle. C’était l’époque où les guerres entre les guelfes et les gibelins avaient plonge l’Italie dans l’anarchie, les crimes et la misère. Tout à coup, a Permise d’abord, a Rome ensuite, et finalement

dans presque loule la péninsule italique, on vit des fidèles de toul rang et de toul Ige, des nobles et des roturiers, des vieillards et des jeunes gens, Jusqu’à des enfants de cinq ans, parcourir les campagnes el

les par centaines, par milliers, par dizaines de mille, l’on par un motif religieux de foi et de

itir en vue d’apaiser la colère divine pour tant de ruines accumulées et de se bien préparer au jugeineni dernier qu’ils croyaient imminent, ils s’en allaient processionnellement, deux par deux, précédés de croix el île bannières, un prélre a leur tête, chaulant îles cantiques de pénitence, demandant publi nent pardon de leurs péchés, Amies d’un fouet

pie ou quadruple lanière de cuir, le haul du corps

nu jusqu’à la ceinture, ils se fiappaient les épaules

en poussant des soupirs et des plaintes

I versant des larmes comme s’ils avaient eu sous

sion du Sauveur. Tel fui l’effct produit,

disent les chroniques anciennes, Mnnnrhi l’ndiiam

hi’ii III, publiées a Bâle, en 1585, par Urctlelus, reproduit dans Baroniiu, Annale » , an. 1360,

I lieiinr. Bai i" l » |-, i. xxii, p. 52 :. i.

et dans Boileau, Histoire des flagellants, Amsterdam, 1701, p. 255-261, qu’on n’entendit plus de quelque temps dans le pays ni les instruments joyeux de fête, ni les chansons d’amour ; les inimitiés cessèrent d’homme à homme, de famille à famille, de cité à cité ; de nombreuses restitutions eurent lieu, les prisons s’ouvrirent, les esclaves furent émancipés el les exilés rappelés.

On s’en étonna d’autant plus que cette manitetalion extraordinaire de pénitence publique paraissait spontanée, sans initiateur connu, et se développa rapidement en dehors de toute autorité religieuse ou civile. Mais si ce mouvement produisit tout d’abord de si merveilleux effets au point de vue de la concorde des citoyens et de la paix publique, il parut bientôt un danger pour la foi, grâce aux agissements de l’hérésie, et pour la société elle-même, à cause des revendications populaires qu’il pouvait déchaîner.’Les flagellants, en effet, prétendaient qu’on ne saurait être pardonné si on ne passait un mois dans leurs rangs ; sans tenir compte du sacrement de pénitence, ils s’absolvaient les uns les autres ; par leurs flagellations ils croyaient être utiles à l’âme de leurs parents et de leurs amis, en les délivrant du purgatoire ou même en soulageant leurs peines dans l’enfer. Ils prêtaient ainsi le flanc aux sectes vaudoises, cathares ou autres, qui, quoique condamnées, n’en poursuivaient pas moins leur action ténébreuse et malfaisante. D’autre part, ces troupes de flagellants pouvaient devenir un danger pour les princes italiens qui, n’étant pas sans reproches à celle époque de discordes civiles, auraient pu être menacés et combattus dans leurs situations acquises. Aussi quelques uns de ces princes s’opposèrent-ils par la force à l’extension des flagellants dans leurs principautés ou Plats.

Parti de Pérousc, ce mouvement franchit les Alpes el gagna de proche en proche, en 1261, la Bavière, l’Autriche, la Hongrie, la Bohême, la Pologne, l’Aile magne et les pays du Rhin. Des plaintes se tirent entendre, des accusations d’hétérodoxie furent formulées, une croisade de prédications fut organisée, et de sévères mesures de répression furent prises en maints endroits. Finalement, devant les moqueries des uns, les menaces et les représailles des autres, les flagellants cessèrent leurs processions et leurs exercices publics de flagellation. Ils disparurent ; mais l’état d’espril crée par eux subsista. On ne les trouve plus dans la suite qu’à l’étal isole et spor.i dique, par exemple, à Strasbourg en 1296, a Iîcrgame en 1334, et à Crémone en 1340, jusqu’à L’explosion générale de l’année 1349.

3° Au xiv siècle. En 1347, la peste noire avait éclate en Asie ; passée bientôt en Afrique, elle coula minait dés 1348 les ports méditerranéens de l’Italie et de la France, el de là se répandit dans loule

l’Europe, gagnant les pays Scandinaves, l’Angleterre,

l’Irlande et le (.roenland, el exerçant partout ses ravages. En même temps, sur terre et dans les cicux, se produisirent de multiples phénomènes, des orages,

des cyclones, des tremblements de terre, des Inondations, qui ajoutèrent aux horreurs de la peste de nouvelles horreurs et multiplièrent les victimes.

Pour faire cesser la mortalité el appeler sur les hommes la clémence du ciel, des bandes de flagellants

< montrèrent au printemps de (349 dans la Haute

Allemagne ; on en vil bientôt dans loule l’AIleni en Suisse et en Suède, le long du Rhin, a Strasbi B Rome, à Spire, dans le Ilainaul, la Flandre, l’An rre. Cf. la Chronique du moine de Padoue, Boileau, Histoire des flagellants, p. 264-293 ; Baronius, Annules, an, 1349, édit. Tbeiner, t. xxv, p. 471, la Chronique du Strasbourgeois Fr, Gosenei (] 1384) ;