Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
93
94
FOI


la vérité et l’erreur, n’est pas une passion animale ; elle dérive donc d’un jugement : c’est ce jugement, source de l'émotion craintive, qu’il nous faut arriver à saisir, c’est à lui que les scolastiques ont par métonymie transféré le nom de formido, qu’il soit suivi d’une émotion perceptible, ou non. Il doit donc y avoir dans V « opinion » un double jugement : le principal, qui, comme dit saint Thomas, accipil unam partem, admet une des deux thèses contradictoires : le secondaire, qui affaiblit l’adhésion du premier, et que nous appelons formido.

En quoi consiste ce jugement secondaire ? Serait-ce à nier faiblement, à nier tout bas ce que le principal affirme tout haut et avec plus de force ? Mais un seul et même esprit ne peut proférer en même temps deux propositions contradictoires : et si cela était possible dans une perturbation, dans une situation anormale de l'âme, cela ne peut être dans l’opinion, état d’esprit essentiellement pacifique et régulier. Aussi, quand saint Thomas dit de l’opinion : Opinans habet alifjuid asscnsus, inquantum adhærct uni magis quam alii, il faut traduire ce magis par « plutôt » , et ne pas prêter au grand docteur l’idée bizarre de faire adhérer en même temps à deux contradictoires, bien que plus fortement à l’une des deux. In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, q. ii, a. 2, sol. l a ; voir Gardeil, dans la Revue des sciences philos, et thèol. du 20 juillet 1911, p. 451, 452, ou dans La certitude probable, 1911, p. 48, 49. Sans doute, après l’adhésion que j’aurai donnée à l’une des thèses contradictoires, par exemple, à l’existence de telle obligation pour mon pénitent, je pourrai réfléchir sur la valeur comparative des motifs qui m’ont poussé à incliner du côté de cette obligation, et des motifs contraires, et reconnaître avec certitude dans ceux-ci une valeur sérieuse, les miens n'étant pas décisifs, voir Revue thomiste, mai 1902, p. 162 ; et voyant de bons théologiens préférer la thèse opposée qui nie l’existence de cette obligation, je pourrai par une défiance légitime de mes propres lumières, dans une question qui n’est pas claire, baser sur l’opinion des autres une solution toute pratique, et m’abstenir d’imposer au pénitent la thèse à laquelle j’adhère avec crainte, et tel est le procédé du probabilisme en morale, que le P. Gardeil ne paraît pas avoir bien saisi. La certitude probable, p. 35, 36. Mais il n’en est pas moins vrai que, dans le jugement primitif et plus direct qui est proprement « l’opinion » , je n’adhère qu'à l’une des deux thèses opposées. De là aussi une véritable erreur en moi, si j’ai pris celle qui en soi est fausse : tandis que dans l'état de doute, qui flotte entre deux contradictoires sans s’arrêter à aucune, il n’y a pas d’erreur possible.

En quoi donc consistera ce jugement secondaire qui dans 1 opinion produit la crainte ? Nous pouvons raisonner ainsi. Le jugement qui, dans l'être raisonnable, produit la crainte en général, c’est toujours ce jugement qu’il y a pour lui un mal qui menace, un danger. Quel danger peut-il y avoir dans toute opinion, c’est-à-dire dans le fait même que l’intelligence, sans avoir la certitude, incline vers une des deux thèses contradictoires ? Le mal qui menace alors l’intelligence, C’est l’erreur. Danger d’ernur, voilà donc ce que doit affirmer dans l’opinion le Jugement secondaire, appelé formido. Et l’enMmble pourra se représenter par cet exemple : Cette maladie mène À la mort, mais en affirmant cela. Je suis en danger de me tromper. Le premier jugement, le principal, est direct, et Va droit à l’objet : le second est réflexe : le

premier affirme un fait, le second ne nie pas ce fait,

mais afin nie le danger que j’ai de DU tromper en l’affirmant : ils ne. sont donc pas contradictoires entre eux, et mie même intelligence peut les porter en même

temps. Telle est en résumé l’analyse que font, de

l’opinion et de sa formido, Haunold, Theol. speculaliva, Ingolstadt, 1670, p. 377 sq. ; de Bcnedictis, Philos, peripatetica, Venise, 1722, t. i, p. 513 sq.

On a donné une autre explication. « Le mot formido, dit le P. Gardeil, si on l’entend d’une crainte intrinsèque à l’opinion, ne signifie pas autre chose que la contingence de l’acte d’opinion, comme le remarque D. Soto dans son pénétrant commentaire des Analytiques. » La certitude probable, p. 46. Le contingent étant par définition « ce qui peut ne pas être, » qu’entend-on ici par « contingence de l’acte d’opinion ? » « A la contingence de la vérité probable, correspond la contingence de l’assentiment d’opinion. Nous avons exposé plus haut les trois modes de la contingence du probable : matière contingente, incapable d'être l’objet d’une connaissance absolument certaine ; matière nécessaire en soi, mais appréhendée à l’aide de signes qui n’atteignent pas le fond des choses, leur pourquoi profond et décisif ; matière nécessaire, mais saisie imparfaitement par suite de l’imperfection de l’esprit. Dans les trois cas, au moment où il actionne l’esprit, l’intelligible n’a pas la détermination absolue qui réduit la puissance intellectuelle et entraîne l’adhésion. » Op. cit., p. 40, 41. Les deux derniers cas peuvent se résumer en un seul : la connaissance est si imparfaite (soit imperfection des signes ou intermédiaires employés, soit imperfection du sujet lui-même) que la chose affirmée pourrait ne pas être en réalité. J’affirme qu’il fera beau demain, à cause de certains signes ; cependant j’estime que la chose affirmée pourrait être autrement. C’est par là que l’opinion se distingue de la science et de la foi, d’après saint Thomas : De rationc scicnliæ est, quod id quod scitur existimetur esse impossibile aliter se habcrc ; de ratione autan opinionis est quod id quod quis existimat, exislimcl possibile aliter se habere. Sed id quod fide tenetur, proplcr fidei ccrliiudincm, exislimatur cliam impossibile aliter se habere. Sum. theol., II a II 1 ', q. i, a. 5, ad 4°'". Saint Thomas exprime ici que l’opinion est composée d’un double jugement : existimat, existimet ; et le second est précisément ce jugement secondaire dont nous avons parlé avec I launold et de Bcnedictis, dans lequel, saisissant l’imperfection de notre connaissance, nous disons : « Je suis en danger de me tromper. » Car enfin, n’est-ce pas la même chose de dire suivant la formule de saint Thomas : « La chose que j’aflirme pourrait être autrement dans la réalité, » ou suivant notre formule : « En affirmant cela, je suis en danger d’erreur ? » Le P. Gardeil dit lui-même : « La contingence en matière de vérité n’est pas autre chose qu’une possibilité d’erreur. » Op. cil., p. 12. Beste le premier cas : « matière contingente, dit-il, incapable d'être l’objet d’une connaissance absolument certaine. » Cependant toute matière contingente ne doit pas être condamnée à l’incertitude. Ma propre existence, qui est pour moi d’une évidence irrésistible et d’une certitude absolue, est pourtant une matière contingente » . Et il ne paraît pas fondé de dire : « Les objets qui nous touchent de plus près, parce qu’ils sont en quelque

sorte nous-mêmes, sont très spécialement justiciables de la seule probabilité. Op. cit., )). 19. L’auteur, il est vrai, tâche de sauver la certitude de quelques vérités

contingentes, en recourant à la nécessité hypothétique d’expérimenter ce que nous expérimentons : Si So crate est assis, il est nécessaire qu’il soit assis, pendant qu’il est assis, i Op. cit., p. 21. Mais il est commun a tout être contingent d’avoir cette nécessité hypothétique. Ce n’est donc pas elle qui fera une

différence cidre les cas où nous connaîtrons le contingent avec certitude, el ceux ou nous le connaîtrons

avec incertitude ; ce sera Uniquement la perfection OU l’imperfection de nos moyens de connaitre. la pot SiblUté ou l’impossibilité d’une expérience immé-