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HUGUES DE SAINT-VICTOR


nobis est spe vel fide. Hugues, lui, écrit : /iV/c.tout tourl. Eruditio didascalica, t. V, c. x, col. 708. Cf. la première phrase de la Summu seiUenliiirum, præf., P. L., t. CLXxvi, col. 11-12, et, pour l’histoire de cette citation, J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du Xlle siècle, p. 136-137, 170-172 ; Ueclierches de science religieuse, Paiis, 1913, t. iv, p. 578, note. Hugues entreprend donc de rendre raison de sa foi. Il sait que la raison a des limites et que, dans son état actuel, le genre humain a besoin des lumières de la révélation pour connaître intégralement les vérités et les préceptes de la religion même naturelle ; de là les énergiques expressions contre la folie de la sagesse humaine orgueilleuse et séparée de Dieu. Commentariorum in Hierarchiam cœlestem, t. I, c. i, iv, P. L., t. CLXxv, col. 923-928, 929-932. Il sait aussi que, partant des données de la foi, une foule de questions se présentent à l’esprit qui sont insolubles. Avec son ferme bon sens, il renonce à scruter ce qui échappe à toute connaissance, et, du reste, n’est souvent que curiosité pure ; mais il veut aller jusqu’au bout de ce qui peut être connu, lequalis enim est slultitise prwsumcre in iis quæ non possunt sciri et deficcre in iis qmv non debenl ignorari, t. I, part. VI, c. ni, col. 265. N’aurait-il pas exagéré, une fois au moins, la puissance de la raison en la crojant capable de s'élever à la connaissance de Dieu, non seulement dans l’unité de la nature, mais encore dans la trinité des personnes ? C’est une question sur laquelle nous aurons à revenir. En toute hypothèse, fallùt-il admettre un écart dialectique, nous pouvons affamer que dans l’ensemble Hugues fut un guide sûr et que la cause de la méthode scolastique compromise par les excès d’Abélard, fut definitivement gagnée par lui.

Le mystique.

Appellerons-nous « mysticisme » 

la tendance à prétendre que l’amour du bien, la délicatesse et la pureté de l'âme, préparent à l'étude de la science ? On le fait parfois. Dans ce cas, Hugues est un mystique, car il affirme la nécessité des dispositions morales pour philosopher avec profit. Cf. Eruditio didascalica, t. I, c. iii ; l. III, c. xiv-xx, P. L., t. CLXxvi, col. 742-743, 773-778. Ou le mysticisme consistera-t-il dans l’habitude de la prière, du recueillement, de la mortification, dans les exercices de piété, dans la supériorité attribuée aux œuvres de l’amour sur la connaissance spéculalive dans l’eftort vers la perfection ? C’est ainsi que beaucoup l’entendent et que, par exemple, les éditeurs de Hugues classent parmi ses Opuscula mijstica, et au premier rang, l’Expositio in regulam B. Augustini, puis le De instilutione noviliomm. P. L., t. CLXXvi, col. 881, 92r>. Dans ce cas encore, Hugues est un mystique : il a traité magistralement de la vie spirituelle. Mais, dans l’un et l’autre cas. l’appellation de < mysticisme » est impropre. La doctrine de l’importance de la purification de l'âme pour l’acquisition de la vérité est d’ordre philoiophique, et la science de la perfection, chrétienne ou religieuse, c’est la théologie ascétique. L’Expositio in regulam B. Augustini et le De institulione novitiorum sont de très bons ouvrages d’ascétisme. La théologie mystique est autre chose. Il peut arriver que Dieu intervienne dans l’histoire d’une âme d’une façon extraordinaire, et, par l’emprise d’une grâce exceptionnelle, sans préparation ni concours actif de l'âme, l'élève â une connaissance et à un amour au-dessus de la condition commune. Ici, nous sommes en plein niysticisme. Hugues est un théologien mystique, parce que, non content de tracer les voies de la perfection commune, de celle cù l’activité humaine, soutenue de la grâce, prédomine, il décrit l’ascension mystique, ces états rares et mystérieux dans lesquels l’homme est réciUit à la passivité par l’action souveraine de Dieu.

Hugues n’emploie pas le mot de ' mysticisme » dans ce sens. Chez lui, qu’il intitule un ouvrage : De arca i’oe mi/stica, qu’il parle des mijstica divinæ Scripturæ, De arca Xoe moruli, t. I, c. ii, P. L., t. clxxvi, col. 624, cf. In Ecctesiasten hom., prsef., P.L., t. clxxv, col. 115, ou des trois « jours mystiques » de la lumière invisible

« qui distinguent intérieurement le cours de la vie

spirituelle », Eruditio didascalica, 1. 'VU, c. xxvixxvii, col. 836-837, ou, à la suite du pseudo-Denys, des <i théologiens mystiques », Commenturiorum in Hierarchiam cwlestem, t. III, c. ii, col. 985, « mystique est synonyme de " symbolique », d' « allégorique ». Le terme dont il use pour désigner les phénomènes mystiques est celui de « contemplation ». Il y a, dit-il, Eruditio didascalica, t. V, c. ix, col. 797-798 ; cf. De meditando seu medilandi artificio, P. L., t. CLXXVI, col. 993, cinq degrés par lesquels « les justes montent vers la perfection future : la lecture ou la doctrine, la méditation, la prière, l’opération, la contemplation. » Cf. J. Ribet, La mystique divine, Paris, 1879, t. i, p. 45-46. Et il y a deux sortes de contemplations : l’une acquise ou active, l’autre passive ou infuse. Ces deux expressions, qui devaient devenir d’un usage courant, voir t. iii, col. 1619-1631, sont absentes du vocabulaire de Hugues ; l’idée y est. La contemplation active est appelée par lui « spéculation » et la contemplation infuse « contemplation » tout court. //( Ecclesiasicn. hom']. 1, col. 118. Il définit la contemplation active, col. 117 : perspicax et liber animi contuitus in res perspiciendas usquequaque diffusas. C’est « la contemplation des commençants » ; elle considère les créatures et produit l’admiration. Cf. De unione corporis et animæ P. L., t. clxxvii, col. 285 ; De arca Noe morali, 1. H, c. iv, col. 637-638. La contemplation infuse est n la contemplation des parfaits », < la contemplation du créateur » : l'âme, unie à Dieu, est, en quelque sorte, transformée par la flamme de l’amour divin et de la clarté surnaturelle, comme le bois par le feu ; elle est transfigurée par l’opération divine et, en possession de la vérité et de la charité parfaite, se repose dans un calme suprême, n’ayant rien à chercher hors de celui qui est son bien unique. Tune, corde toto in ignem amoris converso, vcre Dcus omnia in omnibus esse sentitur, cum tam intima dilectione suscipitur ut præter illum etiam de scmetipso cordi nihil relinquatur. In Ecclesiasten, hom. i, col. 118.

Précisons la nature de cette « contemplation du créateur ». Avant le péché originel, il y avait, dit Hugues, De sacramentis, t. I, paît. X, c. ii, col. 329, un triple instrument de connaissance : l'œil de la chair, qui voyait le monde ; l'œil de la raison, par lequel l'âme se connaissait elle-même ; l'œil de la contemplation, par lequel elle voyait en elle-même Dieu et les choses divines. Le péché d’Adam a éteint l'œil de la contemplation, alïaibli l'œil de la raison, et laissé intact l'œil de la chair. L’homme donc peut voir bien le monde, imparfaitement son âme, mais non Dieu, quia vcro oculam contemplationis non luibct, Deum et quæ in Dco sunt videre non valet. La foi lui est nécessaire ; il croit ce qu’il ne voit point. Jusqu’où allait cette vision de Dieu avant la chute, c’est ce que Hugues expose ailleurs, De sacramentis, I. I, part. VI, c. XIV, col. 271. L’homme connut son créateur, non par l’enseignement extérieur, mais par l’inspiration intérieure, ea (cognitione) quæ potius intus per inspirationem ministratur, non par cette connaissance de la foi qui fait chercher Dieu absent, mais par celle que donnait alors la contemplation de Dieu connu présent, sed ea quæ tune per præsentiam contemplationis scicnti manifestius cernebatur. Cette connaissance était plus grande et plus sûre que celle qui vient maintenant de la foi, moindre que celle qui se mani-