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IMMACULÉE CONCEPTION


n’en faut-il pas chercher la raison dans quelque circonstance mystérieuse que le seul texte de la Genèse ne révèle pas, mais que la suite de la révélatiou devait dévoiler ? Tout s’explique s’il s’agit de la nouvelle Eve, associée au nouvel Adam dans la victoire comme dans la lutte.

Qu’Eve soit réellement « la fenmie » désignée dans les versets qui précèdent et qui suivent le Protévangilc, c’est chose incontestable et incontestée ; l’écrivain sacré y raconte sa faute et celle d’Adam, 1-6, puis l’interpellation divine, 12-13, et le châtiment infligé aux deux coupables, 16-17. Le cas est tout autre dans les deux versets intermédiaires, où le Protévangile est enveloppé : Dieu s’y adresse, non pas à nos premiers parents, mais au démon, pour prononcer contre lui une sentence en punition du péché qu’il a fait commettre d’abord à Eve ; cette sentence comprend un plan de revanche dressé par Dieu contre Satan : « Puisque tu as fait cela, sois maudit…, et je mettrai une inimitié entre toi et la feiume, etc. » C’est-à-dire, « puisque tu t’es servi de la femme, comme d’un instrument, pour faire tomber le premier homme et détruire ainsi mon œuvre, à mon tour je me servirai de la femme, comme d’un instrument, pour détruire ton œuvre et restaurer la mienne. » Pour que ce programme se réalise, en ce qui concerne « la femme », il n’est pas nécessaire que ce mot désigne dans les deux cas un seul et même sujet. Quand on dit, suivant un adage connu : » La fenune nous a perdus, la femme nous a sauvés », le sens n’est pas que la chute et le relèvement viennent d’un seul et même individu, mais seulement qu’ils viennent, l’un et l’autre, d’une femme qui, dans l’hypothèse, représente et personnifie en quelque sorte l’espèce. De même, pour expliquer la double acception du mot ha’iasa, il suffit qu’au relèvement comme à la chute, une femme intervienne ; non pas une femme quelconque, mais une femme qui, par sa condition spéciale et le rôle qu’elle joue, puisse, comme Eve elle-même, s’appeler « la femme », soit par personnification de l’espèce dans un individu, soit par métonymie, la partie principale étant prise pour le tout. Cette application d’un même terme à deux sujets distincts est d’autant plus facile à concevoir ici, que les deux femmes, se trouvant dans le rapport de première et de seconde Eve, ne sont nullement, eu leur être moral et pour ainsi dire social, indépendantes l’une de l’autre. Considération qui explique, semhle-t-il, en quel sens certains auteurs ont pu voir dans la femme de la Genèse et Marie et Eve : la première principalement, la seconde secondairement, comme ne faisant moralement qu’une avec l’autre : Illa mulier principaliter est B. Virgo, cujus semen est Christus ; Eva vero solum in conjunctione cum filia sua. C. Pesch, Prœlectiones dogmaticæ, t. ni. De Deo créante, n. 302.

C’est sans doute à un rapport de ce genre que songeait l’auteur d’un sermon attribué à saint Augustin, quand il présentait Eve comme une anticipation de Marie, et celle-ci comme une révélation ultérieure de celle-là : In Eva jam tune Maria inerat, etper Mariam postea revelata est Eva. Serm., en, in nativit. Domini, X^. 5, dans Mai, Nova Patrum bibliolh., t. i, p. 212.

Réduite à cette simple idée, que Marie est étroitement unie à son Fils considéré comme le grand adversaire et comme le vrai vainqueur de Satan, l’interprétation du Protévangile qui vient d’être exposée répond à la doctrine générale des Pères et des écrivains ecclésiastiques. Plusieurs de ceux qui ont été cités comme voyant dans le lignage de la femme le Messie, parlent de ce dernier d’une façon concrète, comme né de la Vierge Marie : tels Justin, Irénée, Cyprien, Éphrem, Léon le Grand, Isidore de Péluse. D’autres identifient formellement ou équivalemment la mère

de Dieu avec la femme de la Genèse : S. Éjjiphane, Hær., Lxxiu, n. 18, 10, P. G., t. xui, col. 728 ; S. Éplircm, Orat. ad SS. Dei nuilreni. Opéra græc. lai., t. iii, p. 547 : Salve para, quie diaconis nequissi mica put contrivisti ; pseudo-Chrysoslome, Homil. in annunt. Deip., P. G., t. Lxii, col. 706 : Ave, et calca caput serpentis ; Hesychius, Serm., y, de S. Maria Deip., P. G., t. xciii, col. 1466 : Gloria luti nostri, quæ… audaciam draconis abscidit ; S. Joseph l’Hymnographe, A/ana/e, 16 avril, P. G., t. cv, col. 1102 : tu quæ gaudium peperisti, et serpentem interemisti.

En Occident, saint Jérôme, si, comme l’a soutenu G. Paucker, dans Zeitschrifl jûr die ôsterreich. Gymnasien. Vienne, 1880, t. xxxi, p. 891-895, il est réellement l’auteur de VEpist., vi, ad amicum œgrotum, de viro perjecto, c. vi, P. L., t. xxx, col. 82 : Mater itaque Domini nostri Jesu Christi in illa jam tune mulicre promissa est, etc. ; Prudence, Cathem., hymn. iii, V. 150, P. L., t. Lix, col. 806 : femincis vipera proteritur pedibus ; S. Avit, Carmina, t. III, c. vi, P. L., t. Lix, col. 340 : Conterai illa caput, victoremque ultima vincat ; divers exégètes au temps du pseudo-Eucher, Comment, in Gen., iii, 15, P. L., t. l, col. 914 : Quidam autem, quod dictum est : Inimicitias ponam inter te et mulierem, de virgine, unde natus est Dominus, intellexerunt ; S. Isidore rapportant le même texte, Mysticorum expositiones sacramentorum, P. L., t. Lxxxin, col. 221 (cf. Fidel Fita, La Biblia y san Isidore, dans Boletin de la Real Academia de la historia, Madrid, 1910, t. Lvi, p. 484 sq.) ; S. Fulbert de Chartres, Serm., iv, de nativ. B. M., P. L., t. cxii, col. 320 : Hœc (Maria) est ergo mulier ad quam divinum illud intendebat oraculum ; Rupert, De Victoria Verbi Dei, t. II, c. XVI, P. L., t. cLxix, col. 1256 : Equidem principaliter becda Virgo Maria, mulier illa est inter quam et serpentem inimicitias positurum se dixit, et posuit Deus ; S. Bernard, Homil., ii, super Missus est, n. 4, P. L., t. CLxxxiii, col. 63 : Quam tibi aliam prsedixissc Deus videtur, quando ad serpentem dixit : Inimicitias ponam inter te et mulierem ? De même, Serm. de duodecim prærogativis B. M., n. 4, ibid., col. 431 : Nimirum Ipsa est quondam a Deo promissa mulier, serpeniis antiqui caput virtutis pede contritura.

Mais pour avoir pleinement la pensée des Pères, il ne suffit pas de considérer les applications plus ou moins directes qu’ils ont pu faire du Protévangile ; il faut encore, comme le remarque à bon droit Palmieri, Traclatus de peccato originali et de immaculalo B. V. Deiparæ conceptu, 2e édit., Rome, 1904, p. 304, tenir compte de la doctrine, commune parmi eux, du nouvel Adam et de la nouvelle Eve, unis dans l’œuvre de la réparation ; doctrine appartenant à la tradition patristique des premiers siècles et qui, à ce titre, sera développée plus loin. Ébauchée par saint Justin et poussée plus avant par saint Irénée, elle se trouve aussi chez le plus ancien des Pères latins, TertuUien, avec moins de relief, mais nette encore dans ses lignes fondamentales. De carne Christi, 17, P. L., t. ii, col. 782 : « Dieu a recouvré par une opération contraire son image et sa ressemblance dont le démon s’était rendu maître. Dans Eve encore vierge s’était insinuée la parole qui créa la mort ; c’est aussi dans une vierge que devait descendre le Verbe de Dieu qui créa la vie, afin que le même sexe qui avait été la cause de notre perte devînt l’instrument de notre salut. B De là résulte, entre la première femme et la mère du Sauveur, une antithèse qui, dans la période postnicéenne, s’énonce couramment sous forme d’adage : Mors per Evam, vita per Mariam, dit saint Jérôme, Epist., xxii, ad Euslochium. n. 21, P. L., t. XXII, col. 408 ; au lieu d’Eve, Marie, àvTi -rr, : Iv-aç f, Mapîa. dit saint Jean Chrysostome, Homil. in Pascha, n. 2, P. G., t. lii, col. 708 : et saint Éphrem,